Les forces de l’ordre et de sécurité ne sont-elles pas au service de tous les Togolais ? La question paraît bien drôle, d’autant plus que statutairement, la Police et la Gendarmerie sont des corps républicains. Mais depuis quelque temps, la donne semble avoir changé, de par leurs agissements sur le terrain dans le cadre des manifestations du Collectif « Sauvons le Togo » et de la Coalition Arc-en-ciel. Et le ministre en charge de la Sécurité et de la Protection civile, le Col Yark Daméhane en a donné la confirmation en fin de semaine dernière.
Samedi dernier, les rues de Lomé devraient encore enregistrer une marche de l’Alliance nationale pour le changement (Anc), avec pour point de départ le quartier interdit, c’est-à-dire Adéwui. Une manifestation s’inscrivant dans le cadre de la célébration du 2e anniversaire du parti orange, créé le 10 octobre 2010. Mais finalement elle n’a pas eu lieu, les responsables du parti ayant décidé ainsi. « La marche a été annulée, parce que le président national a estimé qu’il fallait éviter des affrontements entre les militants du parti et les forces de l’ordre, surtout que c’est demain la fête », a communiqué le Secrétaire national à la Communication, Eric Dupuy. Une décision de sagesse en somme, car il y avait du grabuge dans l’air. Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile en a presque fait l’annonce officielle.
Les élucubrations de Yark Daméhane
La marche ne partira pas d’Adéwui, les forces de l’ordre et de sécurité ne pourront pas l’encadrer, les dirigeants de l’Anc assumeront la responsabilité s’ils s’entêtent à le faire, a-t-il dit en substances, au cours d’une conférence de presse organisée jeudi dernier, tout biceps dehors. C’était également l’occasion pour lui de revenir sur les violences enregistrées lors de la marche réprimée du 5 octobre 2012. Un film à charge contre les manifestants sorti du Hollywood version Yark Daméhane a été projeté à l’assistance. A l’en croire, ce sont les manifestants seulement qui ont fait preuve de violences. Les forces de l’ordre n’auront répondu qu’à leur provocation. « On dit à nos éléments, gardez votre sang froid, ne répondez pas aux provocations, acceptez les provocations. Mais notre acceptation a des limites », a-t-il dardé à l’appui. Et comme par enchantement, ce sont les manifestants qui s’en sont sortis avec une cinquantaine de blessés !
« Au cours de la manifestation du 5 octobre, il y a eu de jeunes manifestants qui fumaient publiquement du chanvre indien », a avancé le ministre, pour noircir davantage le CST et la Coalition Arc-en-ciel et légitimer la répression. Ne demandez surtout pas pourquoi Yark n’a pas appréhendé les fumeurs sur le champ. Il vous répondrait qu’il n’y avait peut-être pas suffisamment de menottes, ou qu’il les avait laissés faire, au nom de la politique d’apaisement et de réconciliation prônée par le Desmond Tutu version togolaise, nous avons nommé Faure Essozimna Gnassingbé.
A en croire le ministre, ses éléments souvent envoyés sur le terrain ne tirent jamais les grenades lacrymogènes dans les maisons. « On nous reproche de tirer des grenades lacrymogènes dans les maisons, mais ce n’est pas vrai. Lorsque nous tirons les grenades, c’est le vent qui transporte la fumée dans les maisons, il est difficile de canaliser la fumée », a-t-il raconté. Mais quel crédit accorder à ces propos quand on se rappelle que des autorités sécuritaires et des officiels de l’Etat avaient mis leurs dix doigts au feu et nié les faits qui se sont passés le 13 juin 2012 à la paroisse Saint Augustin d’Amoutivé où les forces de la répression ont proprement gazé Jésus-Christ de Nazareth sur la croix et la Vierge Marie ? Combien de fois de paisibles citoyens n’ont-ils pas vu des grenades les atteindre chez eux ? Le cas le plus illustratif restera celui de Mme Améyo Amékudji qui a piqué une crise cardiaque qui l’emportera, suite au lancer d’une grenade lacrymogène dans sa demeure. Décidément, le cynisme et le mensonge éhonté semblent devenir un mode de gouvernance et des vertus au Togo de Faure Gnassingbé.
Le Togo sur des braises
Les communiqués truffés de contrevérités pour dédouaner les corps habillés des violences et faire porter le chapeau aux manifestants de l’opposition, c’est la norme depuis mars 2010. Quelles que soient les circonstances, eux autres n’ont jamais tort de réprimer, surtout quand il s’agit des manifestations de l’opposition véritable. Mais ce qu’il urge de souligner, c’est l’insécurité que favorisent les autorités en charge de la Sécurité et le pouvoir en place par leurs comportements et déclarations au sujet des violences perpétrées par les miliciens armés le 15 septembre dernier à Adéwui.
Du temps pour boucler les enquêtes et mettre la main sur les responsables. C’est ce qu’a (encore) demandé le ministre de la Sécurité et de la Protection civile jeudi au cours de la conférence de presse. De la pure diversion pour passer ce grave incident par pertes et profits. Les faits ont été on ne peut plus clairs, et il n’y avait plus besoin d’enquêtes pour tirer cette affaire au clair. Les éléments des forces de l’ordre déployés ce samedi 15 septembre n’avaient qu’à appréhender les miliciens qui portaient illicitement des armes. Mais cela n’a pas été le cas. Ils avaient agi à visage découvert, et des images avaient été prises et publiées dans la presse. La plupart sont connus et leurs noms cités. Les informations ont fait état de ce qu’ils se regroupent souvent au siège du Rassemblement du peuple togolais (Rpt), et certains ont été même aperçus en train de rentrer au camp Gendarmerie ce 15 septembre après avoir commis leur forfait. Les services d’investigation n’avaient qu’à suivre ces indices et appréhender les auteurs de ces violences et leurs commanditaires. Aujourd’hui cela fait un mois jour pour jour que ces événements malheureux se sont passés, mais les enquêtes – s’il en existe – piétinent. Les résultats seront-ils un jour annoncés publiquement ?
Il nous est entre-temps revenu que dans le cadre de la récente marche des femmes en rouge, ils étaient encore mobilisés sur le terrain de la Sazof pour passer de nouveau à l’acte. Mais il aurait fallu des injonctions de Yark Daméhane pour les en empêcher. Ce qui induit qu’il y a des contacts permanents avec ces miliciens. A priori le patron de la Sécurité ne devrait pas avoir trop de peines pour mettre la main sur eux. Le reste n’est que manque de volonté et pure diversion de la part du pouvoir pour passer cette affaire dans les oubliettes. Ces milices sont bien au service du pouvoir et reçoivent la bénédiction qu’il faut pour agir. Le phénomène Gilbert Bawara n’avait-il pas légitimé ces violences ?
Ces événements servent désormais de prétexte au pouvoir pour interdire toute manifestation de l’opposition à Adéwui. Les forces de l’ordre, qui arrivent à encadrer ou à réprimer des dizaines voire des centaines de milliers de manifestants, ne sont bizarrement pas capables d’empêcher une centaine de miliciens, fussent-ils armés de machettes et autres gourdins cloutés. Nous avons eu à le souligner, le danger c’est que ces miliciens se sentent dopés par cette complaisance et continuent leur besogne. Et lorsque dans un pays on en arrive là, et les corps habillés censés protéger les citoyens prennent fait et cause pour ces fauteurs de trouble, c’est qu’il va tout droit dans le mur. C’est chaque citoyen qui cherche à se défendre. Ce qui dresse le lit à l’insécurité. Il faut le dire, le Togo court le risque d’une…guerre civile.
Tino Kossi
liberte-togo
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