Au Togo, la loi est faite pour les autres. Il y a des super-citoyens à qui tout est permis pendant que tout est interdit aux autres.
Il y a un mois, le gouverneur Afoh Atcha-Dédji rappelait avec fermeté aux préfets et aux maires l’impérieuse nécessité de respecter les restrictions de l’état d’urgence sécuritaire.
Mais ce mercredi, il s’est soudainement découvert un goût pour la contemplation silencieuse, face aux manifestants occupant la voie publique sans autorisation, aussi bien à Dapaong qu’à Mandouri, pour célébrer l’élection du président du Sénat. L’autorité, semble-t-il, a ses caprices, et la rigueur de la loi, ses accommodements.
« À Dapaong, les populations, conduites par l’association Together, ont chanté, dansé, du carrefour Orabank, passant par Carnaval pour chuter au gouvernorat de la ville », lit-on dans un communiqué publié par ladite association.
Pendant ce temps, à Mandouri, chef-lieu de la préfecture de Kpendjal, encadrés par les forces de l’ordre, des manifestants ont pris d’assaut la voie publique avant de converger vers les locaux de la préfecture.
En rappel, la région des Savanes est placée sous état d’urgence sécuritaire depuis trois ans, et la préfecture de Kpendjal, épicentre de la crise, enregistre près de 8 000 déplacés.
S’il est légitime de s’interroger sur la manière dont une population qui endure depuis quatre ans les affres du terrorisme peut se retrouver spontanément à célébrer une nomination politique — alors qu’elle vit sous le joug de la peur et de la misère —, il n’en demeure pas moins pertinent de se demander comment, en plein état d’urgence, de telles manifestations ont pu avoir lieu sans que les forces de l’ordre n’interviennent pour disperser les attroupements.
Lorsqu’à Dapaong, la soif avait contraint les femmes à prendre la rue, le 24 février 2025, pour se rendre à la mairie et réclamer de l’eau, la gendarmerie avait été mobilisée pour contraindre les manifestantes à écourter leur sit-in devant l’hôtel de ville. Trois jours plus tard, un communiqué du gouverneur rappelait aux populations que l’état d’urgence sécuritaire était toujours en vigueur.
Mais lorsqu’il s’est agi d’occuper la nationale n°1, de bloquer la circulation et de s’emparer des grands carrefours pour « chanter et danser » en hommage à la dictature, l’état d’urgence a, semble-t-il, été spontanément levé.
La complaisance affichée face à ces manifestations pose avec acuité la question d’une politique à deux vitesses.
L’état d’urgence sécuritaire apparaît désormais comme un outil à géométrie variable, un prétexte pour museler les voix dissidentes et empêcher toute mobilisation indépendante qui ne sert pas les intérêts du pouvoir.
François Bangane
Source: lalternative.info