« Pour être libres, il faut qu’un peuple et ses représentants s’attachent fermement à cette idée que la constitution doit toujours être respectée, tant qu’elle existe en elle-même et pour elle-même », Adhémar ESMEIN, Eléments de Droit constitutionnel français et comparé, 8ème éd. revue par NÉZARD, tome II, 1928, p. 533.
Adoptée par référendum le 27 septembre 1992 et promulguée le 14 octobre de la même année, la Constitution togolaise a subi des modifications multiples et multiformes, honteuses et déconsolidantes les unes autant que les autres. Elle a été modifiée le 31 décembre 2002, ensuite les 5 et 21 février 2005, puis le 7 février 2007 et enfin le 15 mai 2019.
Une constante est observée depuis la promulgation de la Constitution, c’est le non-respect par l’Exécutif de certaines de ses dispositions. Actuellement, sur 159 articles, une vingtaine est constamment violée. Ces viols de la Constitution sont parfois flagrants et d’autres fois ilssont subtilement entourés d’artifices.
Il ne s’agit pas ici de dresser une liste exhaustive des violations perpétrées, mais de relever quelques points d’illustration.
Article 13 – Alinéa 2 : « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa Liberté. »
Les entraves à la liberté sont couramment exercées sur la population. C’est le cas, par exemple, du harcèlement des médias et des journalistes exerçant leur profession. C’est aussi le cas des abus de toutes sortes que subit au quotidien la population.
Article 15 – Alinéa 1 : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu. Quiconque est arrêté sans base légale ou détenu au-delà du délai de garde-à-vue peut, sur sa requête ou sur celle de tout intéressé, saisir l’autorité judiciaire désignée à cet effet par la loi. »
Plusieurs Togolais sont arbitrairement arrêtés ou détenus, comme les prisonniers politiques et dans les cas d’abus de pouvoir ordinaire. Il y a par exemple, des cas de personnes détenues dans les locaux des services de renseignement pendant plusieurs mois avant d’être relâchées sans inculpation. C’est parfois le fruit de l’exploitation de l’ignorance de la population, d’autres fois, c’est simplement la raison du plus fort qui se met en œuvre en dehors de tout cadre légal.
Article 16 Alinéa 1 : « Tout prévenu ou détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa dignité, sa santé physique et mentale et qui aide à sa réinsertion. »
Quand l’on considère l’état de vétusté des bâtiments et de saleté de la prison civile de Lomé et que l’on porte un regard sur les conditions de vie des détenus, on est loin d’un traitement qui préserve la dignité et la santé. Ces situations sont dénoncées par les organisations de la société civile, les parents des détenus et la Commission des droits de l’homme de l’Onu.
Article 21 Alinéa 1 : « La personne humaine est sacrée et inviolable. »
Alinéa 2 : « Nul ne peut être soumis à la torture ou à d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
La torture, les traitements inhumains et dégradants n’ont pas encore quitté la sphère de la force publique. Les organisations de la société civile continuent de mettre en lumière les agissements de certains éléments de police, de gendarmerie et de l’armée qui semblent donner peu de considération à la sacralité de la personne humaine. Les multiples rapports produits par la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) et celui de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) rendu en 2012, illustrent amplement les différents actes de tortures et de mauvais traitements desquels se sont rendus coupables certains agents des forces de l’ordre et de sécurité. Les pratiques à ce jour n’ont pas complètement disparu.
Article 22 Alinéa 2 : « Aucun Togolais ne peut être privé du droit d’entrer au Togo ou d’en sortir. »
Beaucoup de nos concitoyens sont contraints à l’exil de crainte de représailles politiques sous diverses formes. Certains Togolais sont même effectivement empêchés de rentrer au Togo. Cela a récemment été observé, peu avant l’élection présidentielle du 22 février 2020, avec le cas de François Boko, comme rapporté l’intéressé.
Article 28 Alinéa 1 : « Le domicile est inviolable. »
Alinéa 2 : « Il ne peut faire l’objet de perquisition ou de visite policière que dans les formes et conditions prévues par la loi. »
L’intrusion des forces de l’ordre et des militaires dans les domiciles privés en dehors de tout cadre légal est une chose courante dans le pays. Cela ne se passe pas toujours sans dommage pour la maisonnée. Pour s’en protéger, certains marquent au fronton de leur portail « Déjà frappé », comme lors des événements de 2005. Ces tragiques expériences ont été encore vécues par la population en 2017 durant la période des grandes contestations. En mars 2020, une situation affligeante s’est encore reproduite au domicile d’AgbéyoméKodjo, après l’élection présidentielle.
Article 29 Alinéa 1 : « L’Etat garantit le secret de la correspondance et des télécommunications » Alinéa 2 :
« Tout citoyen a droit au secret de sa correspondance, de ses communications et télécommunications. »
Ce droit constitutionnel reconnu aux citoyens a été repris formellement par l’article 88 de la loi N°12- 018 du 17 décembre 2012, relatives aux communications électroniques. Cette loi définit à son article 89 les sanctions pénales encourues par toute personne physique ou morale qui interceptent les communications privées.
Cependant s’il est constant que l’institution des écoutes administratives ou judiciaires constitue une exception à ce droit constitutionnel, il n’en demeure pas moins que ces écoutes administratives ne peuvent être justifiées que par des raisons de sécurité et exécutées de façon ponctuelle. Elles ne peuvent pas constituer une fin en soi ou encore un voyeurisme politique. Ainsi, qu’elles soient administratives ou judiciaires, les écoutes téléphoniques, pour qu’elles ne soient pas arbitraires ou anarchiques ou détournés de leur but qui n’est rien d’autre que sécuritaire, doivent absolument faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.
En l’absence donc de ces mécanismes de contrôle, il va sans dire que les différentes immixtions dans la vie privée des citoyens par ce procédé d’espionnage ou de surveillance électronique en dehors des cas de menace de la sécurité de l’Etat ou des citoyens, constituent des atteintes graves à ce droit et donc une violation de la loi et de la Constitution.
En effet, des médias internationaux ont récemment révélé comment l’Etat togolais surveille hors de tout cadre légal sa population – les religieux, les lanceurs d’alerte, les leaders d’opinion et des acteurs politiques – notamment les télécommunications avec le logiciel Pegasus qui au lieu de servir à lutter contre l’insécurité, constitue aujourd’hui pour les autorités togolaises de l’Etat une arme de destruction dangereuse contre la démocratie, l’Etat de droit et les libertés.
On se souvient du scandale du Watergate impliquant en 1972 l’administration du président Richard Nixon aux Etats-Unis d’Amérique, lorsqu’il a fait espionner le siège du parti Démocrate. Scandale qui a conduit à sa démission 2 ans plus tard.
Plus récemment en France, durant le premier septennat de François Mitterrand dans les années 80, une cellule d’écoute illégale a été installée à l’Elysée au préjudice de plusieurs citoyens français. Portée devant les tribunaux, cette affaire a conduit à la condamnation en 2005 de sept anciens collaborateurs de Mitterrand.
Quand les institutions fonctionnent normalement, c’est devant les tribunaux que se terminent ces abus de l’Exécutif. Cela devra être le cas au Togo également.
Article 30 Alinéa 1 : « L’Etat reconnait et garantit dans les conditions fixées par la loi, l’exercice des libertés d’association, de manifestation pacifique et sans instrument de violence. »
La Constitution garantit les manifestations publiques pacifiques, mais une loi inique votée par une Assemblée nationale monocolore les interdisent quasiment.
Pour mieux violer ce droit par le droit, le gouvernement à trouver mieux d’éventrer la loi dite Bodjona sur les manifestations en y introduisant, à travers une modification spécieuse, des mesures qui relèvent du pouvoir réglementaire, notamment la détermination par la loi des lieux et des itinéraires de manifestation. Ce qui constitue une source certaine des atteintes graves à la démocratie et aux libertés au Togo.
Comme le dit Mouhamadou NDIAYE, Université de Bordeaux, membre du CERCCLE (Centre d’Études et de recherche comparative sur les constitutions, les libertés et l’État) dans [La stabilité constitutionnelle, nouveau défi démocratique du juge africain], présenté lors de la I ère université d’été de l’institut Louis Favoreu, « Ces techniques de contournement ne sont même pas, parfois, maquillées pour leur donner une allure de conformité avec le droit. En effet, le pouvoir politique viole indûment la Constitution en faisant fi des règles édictées par celle-ci. ».
Article 32 Alinéa 1 : « La nationalité togolaise est attribuée de droit aux enfants nés de père ou de mère togolais. »
A ce jour 85% des Togolais n’ont pas de carte nationale d’identité.
Article 34 Alinéa 1 : « L’Etat reconnait le droit à la santé. Il œuvre à la promouvoir. »
Le minimum requis de nos jours n’est pas assuré en matière de santé. Aucun scanner dans les hôpitaux publics. Aucun IRM dans les hôpitaux publics. Aucun matériel de radiothérapie dans les hôpitaux publics. Personnel soignant réduit et coûts inaccessibles aux citoyens, on meurt encore trop de maladies ordinaires comme le paludisme.
Article 35 Alinéa 1 : « L’Etat reconnait le droit à l’Education des enfants et crée les conditions favorables à cette fin. »
Les conditions favorables d’enseignement sont loin d’avoir été créées. Nombre pléthorique d’enfants par classe – jusqu’à 130 – des salles de classe de fortune, le ratio encadrement/élèves insuffisant, problèmes des enseignants volontaires, matériels pédagogiques indisponibles et bien d’autres difficultés plombent la qualité de l’enseignement.
Article 38 Alinéa 1 : « Il est reconnu aux citoyens et aux collectivités territoriales le droit à une redistribution équitable des richesses nationale par l’Etat. »
Donnons la parole au chef de l’Etat, « Une minorité accapare les richesses de l’Etat », discours prononcé le 26 avril 2012. Les choses n’ont pas changé depuis lors. L’indice de Gini qui mesure l’écart entre les riches et les pauvres est encore très élevé. Il était à 0,510 en 2018 (évalué entre 0 et 1, plus ce chiffre est près de 1 plus les écarts sont élevés). La gestion de l’Etat ne se fait pas de manière inclusive. 30,3% de la population de la capitale vit dans l’extrême pauvreté, 77% dans la préfecture de l’Oti-Sud et environ 24% des Togolais souffrent de la faim. Les richesses du pays ne sont pas équitablement redistribuées par l’Etat, en viol de la Constitution.
Article 41 Alinéa 1 : « Toute personne a droit à un environnement sain. L’Etat veille à la protection de l’environnement. »
L’état de dégradation, parfois avancée, de nos environnements de vie ne correspond pas à ce que la Constitution préconise. Les conséquences produites par les industries sur les environnements de vie sont considérables et mettent gravement en danger la santé de la population. L’Etat n’y veille pas comme il se doit. La quasi-inexistence de services de voirie dans les communes ne favorise pas le maintien de l’environnement en état de propreté.
Article 49 Alinéa 1 : « Les forces de sécurité et de police, sous l’autorité du Gouvernement, ont pour mission de protéger le libre exercice des droits et des libertés, et de garantir la sécurité des citoyens et de leurs biens. »
La protection par les forces de sécurité et de police du libre exercice des droits et des libertés des citoyens, est parfois mise à rudes épreuves. Certains agents devenant eux-mêmes des agresseurs, avec parfois mort d’homme. Les cas sont multiples et notoirement connus.
Article 74 Alinéa 1 : « Le Président de la République peut adresser des messages à la Nation. Il s’adresse une fois par an au Parlement sur l’Etat de la Nation. »
En plus de 3 mandats et quinze ans d’exercice du pouvoir, le chef de l’Etat ne s’est adressé au Parlement sur l’Etat de la Nation qu’une unique fois, en décembre 2018. A quatorze reprises, il a personnellement violé la Constitution, dans le silence de l’Assemblée nationale, à ce que l’on sache.
Article 76 Alinéa 2 : « Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et tout emploi privé ou public, civil ou militaire ou de toute autre activité professionnelle. »
Aux termes de cette disposition constitutionnelle, aucun membre du gouvernement ne peut exercer aucune fonction quelle qu’elle soit. C’est dire que lorsqu’un citoyen est appelé à exercer une fonction gouvernementale, alors qu’il exerçait une autre fonction à caractère public, privé, civile ou militaire, ce citoyen n’a pas le droit de combiner cette fonction à la fonction gouvernementale. C’est ainsi qu’un magistrat nommé ministre ne peut cumuler sa fonction de magistrat et celle de ministre, quoique ces deux charges sont des fonctions publiques. Il en est de même d’un avocat nommé ministre qui ne peut tout en exerçant ses fonctions de ministre (fonction publique) continuer d’exercer sa charge d’avocat (emploi privé).
Le but de cette interdiction de cumulation de fonctions pour le pouvoir constituant est de permettre aux membres du gouvernement, d’une part, d’avoir le temps nécessaires pour s’occuper entièrement de leurs lourdes charges, et d’autre part, d’éviter toute situation de conflits d’intérêts. Malheureusement des situations de cumulation et de conflits d’intérêts sont légions. Ex : Un ministre de l’agriculture n’a jamais quitté son poste de Directeur Général de l’Agence Nationale pour la sécurité alimentaire du Togo (ANSAT) qu’il occupe jusqu’à ce jour depuis qu’il a quitté le gouvernement. Comment pouvait-il sanctionner la mauvaise gestion éventuelle constatée dans cette structure et assurer son meilleur fonctionnement ? Il ne pouvait absolument pas, puisqu’il y a conflits d’intérêts.
Actuellement, le Ministre de l’Education nationale cumule avec la fonction de président de l’université de Lomé. Encore un manque d’égard pour a Constitution.
Article 100 Alinéa 1 : « La Cour constitutionnelle est composée de neuf (9) membres de probité reconnue, désignés pour un mandat de six (6) ans renouvelable une seule fois. »
La Cour constitutionnelle actuelle a été installée avec 7 membres au lieu de 9.
Article 113 Alinéa 1 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. »
Le fonctionnement ordinaire de la justice laisse parfois ressortir l’évidence d’un assujettissement du pouvoir judiciaire au pourvoir exécutif. Cela semble bien plus fragrant dans les cas de procès politiques.
Mieux, l’avis N° AV-002/20 rendu le 18 mars 2020 par la Cour constitutionnelle, controversé et politiquement guidé, qui semble jeter les bases d’une réforme inique du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est une illustration des contorsions juridiques auxquelles le pouvoir exécutif tente de se livrer pour violer de façon subtile les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance ainsi consacrés par la Constitution.
Article 132 Alinéa 21 : « Le Conseil Economique et Social est chargé de donner son avis sur toutes les questions portées à son examen par le Président de la République, le Gouvernement, l’Assemblée nationale, le Sénat ou toute autre institution publique. »
Depuis la promulgation de la Constitution le 14 Octobre 1992, le Conseil Economique et Social n’est à ce jour pas mis en place.
Article 145 Alinéa 1 : « Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat, les Présidents et les membres des bureaux de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, du Conseil Economique et Social, de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature, les magistrats des cours et tribunaux, les directeurs des administrations centrales, les directeurs et comptables des établissements et des entreprises publics, doivent faire, devant le Médiateur de la République, une déclaration de leurs biens et avoirs, au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. »
Depuis la promulgation de la Constitution le 14 Octobre 1992, aucune des autorités concernées n’a jamais déclaré ses biens et avoirs. Certes, il était nécessaire qu’un texte soit pris pour définir les modalités, la procédure de déclarations des biens et avoirs et les autorités habilitées à recevoir ces déclarations. Toutefois, depuis 1992 ce n’est que le 30 décembre 2019 que cette loi a été adoptée par l’Assemblée nationale. Mais là encore aucune déclaration des biens et avoirs n’a été faite à ce jour. Cette disposition constitutionnelle continue d’être violée.
Nathaniel Olympio
Président du parti des Togolais