« Vous êtes ministre depuis 17 ans, c’est ça ? Vous n’avez rien fait de votre vie que d’être ministre ? C’est ça votre métier ? ». Ce sont les questions dont le ministre Gilbert Bawara avait été bombardé lors d’un débat sur France 24. Et c’est la triste réalité dans notre pays : certains citoyens togolais, de par leur situation familiale et politique sont appelés à être ministres à vie.
Depuis l’avènement de Faure Gnassingbé au pouvoir, point besoin de rappeler les conditions apocalyptiques dans lesquelles il a accédé au trône, certaines personnes sont éternellement nommées dans le gouvernement. Leur profession : ministre de la République. C’est devenu une carrière, une vocation, un emploi. Certains dans l’entourage de Faure Gnassingbé cumulent 17 années de fonction en tant que ministres, pendant que le Grand chef lui-même qui est à la tête du Togo depuis bientôt 20 ans, a récemment changé la Constitution pour demeurer éternellement président.
Un ministre de la République a avant tout la mission de servir son pays. Il est au service du peuple. Il doit donc exercer sa fonction au service des Togolais et Togolaises. Mais dans notre pays, comme ailleurs sous les tropiques, les gens se servent de leur poste de ministre pour une ascension personnelle. Au Togo où la corruption est endémique et où les gouvernants n’éprouvent aucun besoin à rendre au compte au peuple, devenir ministre est l’occasion rêvée pour devenir riche et pour une accumulation de jouissances matérielles. C’est la raison pour laquelle certains célèbrent leur nomination comme il se doit. D’autres mêmes organisent des manifestations de leur reconnaissance dans leur village pour merci au chef de l’Etat.
Sous le père comme sous le fils, à la prise de fonction des ministres jusqu’à leur départ, ils ne déclarent jamais leur patrimoine. Ils passent le plus clair de leur temps à écornifler l’argent du contribuable. Au point que la corruption fleurit de plus belle dans les plates-bandes du sérail.
Foli-Bazi Katari, le rescapé de l’ère Eyadema
Avec Faure Gnassingbé, la plupart des « ministres avec Eyadema » ont été sortis du premier cercle du pouvoir, à l’exception d’un seul rescapé qui est encore ministre : Foli-Bazi Katari. Ce natif de Sokodé avait occupé plusieurs hauts postes de responsabilité, avant d’être nommé le 3 décembre 2002, Garde des sceaux, ministre de la Justice chargé de la promotion de la démocratie et de l’état de droit.
Foli-Bazi Katari avait officié dans le gouvernement ensemble avec Faure Gnassingbé qui détenait le portefeuille de l’Equipement, des mines et des postes et télécommunications, jusqu’à début 2005 où ce dernier a été propulsé à la tête du Togo, à la suite de ce qu’on avait appelé la « catastrophe nationale », c’est-à-dire le décès subit de Gnassingbé Eyadema, le 5 février 2005. Dans cette période douloureuse qu’avait connue notre pays, Foli-Bazi Katari avait joué prépondérant. C’est lui qui avait remplacé au pied levé François Akila Boko quand ce dernier avait démissionné, la nuit du 21 avril 2005, de son poste de ministre de l’Intérieur, de la sécurité et de la décentralisation pour éviter de cautionner les massacres qui se préparaient contre les populations. On se souvient que Foli-Bazi Katari avait fait l’apologie de l’incendie de l’Institut Goethe, le centre culturel allemand à Lomé, et justifié le vol des urnes par les militaires lors de la présidentielle du 24 avril 2005, en affirmant que les militaires voulaient sécuriser les urnes. Petit rappel, lors du vote, les militaires ont fait irruption dans certains bureaux de vote à Lomé, se sont emparés des urnes et ont détalé comme des joueurs de rugby. Des images captées par des médias internationaux avaient fait le tour du monde.
Après l’élection très contestée et sanglante de Faure Gnassingbé à la présidence de la République, la mission d’établissement des faits de l’ONU avait fait été de plus de 400 morts, Foli-Bazi Katari, pour services rendus, a été confirmé au poste de ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, suite à la formation de l’équipe gouvernementale en juin 2005. En septembre 2006, il change de poste pour devenir ministre du Travail, de l’emploi et de la fonction publique dans le Gouvernement d’Union Nationale dirigé Me Yawovi Agboyibo.
Sorti de l’exécutif en septembre 2008, Foli-Bazi Katari a été nommé Directeur général adjoint de la Communauté électrique du Bénin (CEB), avant de faire à nouveau son entrée dans le gouvernement le 24 janvier 2019, en tant que ministre de la Communication, des sports et de l’éducation à la citoyenneté et au civisme. Il cumule 11 ans dans le gouvernement sous Gnassingbé père et fils.
Gilbert Bawara, ministre depuis 17 ans
L’actuel ministre de la Réforme des services publics, du travail et du dialogue social, Gilbert Bawara qui exerçait comme fonctionnaire aux Nations Unies, est rentré au pays en 2005, à la suite du décès de Gnassingbé Eyadema. Il avait été très actif dans cette période de transition dans l’épreuve de force qui avait consisté à conserver vaille que vaille le pouvoir dans le giron de la famille Gnassingbé. Il a été nommé pour la première fois le 20 juin 2005, dans la toute première équipe de Faure Gnassingbé. Il était alors ministre délégué auprès du ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration africaine, chargé de la coopération. Puis il a été régulièrement recyclé dans les gouvernements successifs. Il a été ministre de la Coopération et du Népad en 2006, ministre de la Coopération, du développement et de l’aménagement du territoire jusqu’en mai 2010 où il a été évincé du gouvernement pour devenir conseiller spécial de Faure Gnassingbé.
Gilbert Bawara signa son retour en grâce fin juillet 2012 dans l’exécutif pour devenir ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales. Depuis, Faure Gnassingbé a toujours renouvelé sa confiance à son lieutenant. Cet homme de confiance du chef de l’Etat est le doyen du gouvernement. Il exerce la fonction ministérielle depuis 17 ans. « Vous n’avez rien fait de votre vie que d’être ministre ? C’est ça votre métier ? » Cette question à lui posée par Karl Gaba, coordinateur du mouvement TogoDebout, vaut tout son pesant d’or.
Victoire Tomégah-Dogbé, 16 ans dans le gouvernement
L’actuelle Cheffe du gouvernement, Victoire Tomegah-Dogbé est l’une des plus assidues dans l’équipe de Faure Gnassingbé. Alors qu’elle exerçait au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Victoire Tomegah-Dogbé a été dénichée en 2008 par Gilbert Fossoun Houngbo alors Premier ministre qui l’a fait entrer dans le gouvernement en qualité de ministre déléguée auprès du Premier ministre chargé du développement à la base. Depuis, elle n’a jamais quitté l’exécutif. Le 1er octobre 2020, elle connut une promotion spectaculaire en devenant le Premier ministre du Togo. Elle fut la toute la première femme dans l’histoire du pays à occuper ce poste prestigieux. Victoire Tomegah-Dogbé a été reconduite à la primature le 1er août 2024.
Cina Lawson, 14 ans comme ministre
A l’instar de Victoire-Tomegah-Dogbé, Cina Lawson n’a jamais quitté le gouvernement depuis sa nomination le 28 mai 2010 en qualité de ministre des Postes et des Télécommunications. Lors de la présentation de l’équipe gouvernementale, elle était apparue à la télévision nationale, très décontractée, dans une mini-jupe ultra sexy, ce qui lui avait valu le surnom de « Miss du gouvernement ». Bardée de diplômes cossus (Sciences Po, Harvard), Cina Lawson a été toujours reconduite à chaque remaniement ministériel. Elle est la troisième personnalité la plus ancienne dans l’entourage de Faure Gnassingbé. Elle totalise 14 ans dans le gouvernement.
Les détracteurs de Faure Gnassingbé accusent celui-ci de se faire entourer d’un cordon étanche de compagnes et d’admiratrices.
Robert Dussey, l’éternel chef de la diplomatie togolaise
Détenteur du portefeuille des affaires étrangères, Robert Dussey n’a jamais quitté le gouvernement depuis son entrée le 17 septembre 2013. Il est ministre depuis 11 ans, tout comme le sécurocrate Yark Damehame qui gère actuellement le portefeuille des ressources halieutiques, animales et de la réglementation de la transhumance.
Autant d’inoxydables membres du gouvernement qui forment une équipe de choc autour de Faure Gnassingbé. Ils semblent tous nés pour être ministres.
Médard A.
Source : Liberté