«Les dirigeants togolais sont incapables de respecter les dispositions constitutionnelles votées par eux-mêmes. En l´absence d´institutions fortes et de contre-pouvoir, tout se limite finalement à la volonté d´un seul homme qui décide au gré de ses humeurs. On se retrouve finalement avec des institutions hémiplégiques. Tenez, cela fait bientôt plus de trois ans que les membres actuels de la HAAC sont en fin de mandat. Depuis trois ans on a de la peine à nommer de nouveaux membres; est-ce normal dans une République? La CNDH se trouve dans le même cas. HAPLUCIA également. Le DG de la SAFER est en fin de mandat depuis deux ou trois, mais toujours à son poste. Le DG du PAL est en poste depuis plus de 15 ans. En pleine réunion il dort…» (Ferdinand Ayité, journaliste togolais en exil)
Ça ressemble un peu à la réponse du berger à la bergère. Car, c´est au moment où Faure Gnassingbé a cette illusion de bomber le torse et de parader entre d´innombrables sommets, de surcroît inutiles pour les Togolais, c´est à ce moment précis, où il se fait l´illusion d´être devenu le médiateur attitré dans les crises suscitées par la survenue des trois juntes militaires dans le Sahel, que le Sieur Agbéyomé Kodjo, qui n´est plus à présenter aux Togolais, lui donne l´estocade par cette interview sur la chaîne française TV5 Monde. Le néo-panafricaniste Faure Gnassingbé est brusquement placé devant les vraies réalités togolaises par cet entretien accordé par le leader de la DMK (Dynamique Monseigneur Kpodzro) en exil.
En fait, les déclarations de l´opposant togolais sur les élections présidentielles de 2020, avec toutes les conséquences qui s´en étaient suivies en sa défaveur, ne sont pas nouvelles. Monsieur Agbéyomé avait eu à les répéter à plusieurs reprises, en d´autres occasions. Mais ce qui est nouveau et inédit ici, c´est la tribune que lui offre aujourd´hui une chaîne francophone, financée en partie par la France; cette France que nous accusons de soutenir nos dictateurs qui nous malmènent, surtout dans la zone francophone d´Afrique. Et ce n´est plus un secret que le régime Gnassingbé au Togo, de père en fils, doit sa longévité au pouvoir grâce au soutien de Paris, depuis janvier 1963, date de l´assassinat du premier président togolais Sylvanius Olympio. Agbéyomé Kodjo a-t-il été victime en février 2020, comme d´autres avant lui, de cette France qui avait pris l´habitude de faire et de défaire, pour ses intérêts, les pouvoirs politiques en Afrique francophone depuis les années ´60? Emmanuel Macron, l´actuel président français, est-il entrain d´essayer de se ressaisir pour limiter les dégâts, quant à la perte progressive de l´influence de son pays dans cette partie d´Afrique, considérée jusqu´à présent comme sa chasse gardée?
En permettant à un opposant de s´exprimer en toute liberté à travers un canal français pour dénoncer le régime de Faure Gnassingbé, en lui rappelant le caractère illégal de son maintien au pouvoir, et en insistant pour qu´il soit rétabli dans ses droits comme le vrai gagnant des élections présidentielles de février 2020, beaucoup d´observateurs se demandent si les premières autorités françaises ne sont pas entrain de lâcher le président de fait du Togo. Le bizarre comportement de ce dernier dans la crise nigérienne, où il n´avait trouvé de mieux que de se mettre à dos la CEDEAO, Alassane Ouattara et donc Emmanuel Macron, ne militerait-il pas pour cette hypothèse? Dans un article publié dans le quotidien «Liberté», il y a quelques semaines, nous nous étonnions du fait que Faure Gnassingbé soit entrain de scier la branche sur laquelle il est assis. Nous estimons que l´ancien premier ministre de Gnassingbé Éyadéma, le père de Faure, de 2000 à 2002, a bien choisi le moment qui coïncide avec les instants de fébrilité que vit le régime togolais, malgré le semblant de stabilité qu´il affiche, pour donner son interview qui désarme totalement les rares soutiens dont dispose encore Faure Gnassingbé, aussi bien à l´intérieur du Togo, qu´à l´extérieur.
Les signes de fébrilité et de culpabilité de Faure Gnassingbé et de son entourage se trouvent renforcés par cet épisode de la semaine dernière concernant deux avocats français du barreau de Paris, Me Joseph Breham et Me Mathilda Louis Ferey, tous deux mandatés par la DMK. Les deux avocats sont arrivés à Lomé dans le but de mener une enquête dans le cadre de l´affaire du courrier de félicitation, prétendumment adressé par Emmanuel Macron à Faure Gnassingbé pour le féliciter pour sa réélection aux élections présidentielles de février 2020. Les deux avocats, au cours de leurs enquêtes, auraient rencontré à Lomé plusieurs acteurs des medias et de la société civile. Les responsables locaux de la DMK ont affirmé, au cours d´une conférence de presse, que les avocats français devraient rencontrer la presse pour livrer les conclusions de leurs enquêtes, mais que les autorités togolaises en auraient décidé autrement. En effet, Me Joseph Breham et Me Mathilda Louis Ferey, furent contraints par la police de rester à leur hôtel, pour finalement être conduits manu militari à l´aéroport. De quoi Faure Gnassingbé a-t-il peur, s´il ne se reproche rien? Ce comportement de quelqu´un qui se reproche des choses du régime togolais ne vient-il pas porter de l´eau au moulin des opposants togolais, et surtout d´Agbéyomé Kodjo, qui continuent à affirmer que Faure Gnassingbé n´était pas le vrai vainqueur des élections présidentielles de février 2020?
C´est donc en ayant en tête ce sentiment de culpabilité d´avoir triché, qui doit être aujourd´hui celui du régime togolais, et l´embarras certain des autorités françaises et surtout d´Emmanuel Macron, dans l´imbroglio togolais, avec surtout pour Paris l´envie de redorer son blason terni dans la zone francophone d´Afrique, que le leader de la DMK, Agbéyomé Kodjo, a choisi ce moment pour donner cette interview. En rappelant que c´est la France qui maintient le régime des Gnassingbé au pouvoir et en mettant Emmanuel Macron devant ses responsabilités de respecter ses engagements en matière du respect des limites du pouvoir, le premier responsable de la DMK en exil n´avait pas manqué de souligner que plusieurs acteurs internationaux, y compris la France, n´avaient pas reconnu la victoire de Faure Gnassingbé, évoquant des messages de félicitation diffusés sur RFI qui auraient été falsifiés. Après avoir exprimé son désir d´être rétabli dans ses droits et de rentrer au Togo, Monsieur Agbéyomé Kodjo n´avait pas rejeté l´idée d´une médiation. Mais connaissant très bien les habitudes, pas très catholiques, de la maison, côté régime togolais, il n´avait pas manqué d´insister sur le caractère impartial et incorruptible du médiateur, si jamais cette option était retenue.
Agbéyomé Kodjo n´avait pas oublié au cours de l´entretien d´insister sur le rôle crucial joué par le clergé togolais dans la recherche d´une issue pacifique à la crise togolaise. Un clergé, selon ses termes, qui n´avait pas hésité à appeler au rétablissement de la vérité des urnes au lendemain des élections présidentielles de 2020. Ce qui aurait suscité le courroux de Faure Gnassingbé et conduit à la menace de mort exercée sur la personne du prélat de 94 ans, Monseigneur Fanoko Philipe Kpodzro, qui vit aujourd´hui en exil.
Samari Tchadjobo
Allemagne