Faure Gnassingbé et l’attirail gouvernemental se sont sacrifiés à la tradition en commémorant l’«attentat de Sarakawa » et ce qui est pompeusement baptisé « Fête de la libération économique ». Au cœur de cet évènement présenté à l’opinion comme un acte fomenté par les impérialistes pour enlever la vie à Eyadema le miraculé (sic) et héros national, les phosphates. Un demi-siècle après, quelle est la santé des phosphates togolais et à qui profite leur exploitation ?
Faure Gnassingbé qui a brillé par un silence sépulcral le 13 janvier dernier lors du 60e anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio, avec pas une seule festivité officielle de souvenir, s’est donné la peine de se déplacer jusqu’à Sarakawa pour honorer son père. L’instant de ces hommages, les Togolais ont été replongés dans le temps. La version officielle et hautement politisée servie de ce passage de l’histoire, c’est qu’Eyadema fut victime d’un attentat organisé par les impérialistes français qui lui en voulaient pour sa volonté de nationaliser les phosphates togolais. Mais ce qu’ils voulaient éviter, arriva.
Au lendemain de cet attentat du 24 janvier 1974, le «miraculé » nationalisa la Compagnie togolaise des mines du Bénin (CTMB) qui s’occupait de l’extraction et de la commercialisation des phosphates et où l’Etat togolais détenait seulement 35 % des parts et créa l’Office togolais des phosphates (OTP). Acte qui était présenté comme une victoire sur les ennemis. S’il était de la génération actuelle, il sera porté en triomphe par la coterie de pseudo-panafricanistes des réseaux sociaux, comme Assimi Goïta au Mali et Ibrahim Traoré au Burkina Faso…
Cet « attentat de Sarakawa » dont on a rebattu les oreilles des Togolais au point de réserver un retour triomphal au « miraculé » le 2 février et le déifier presque n’aurait jamais existé, pour de nombreux observateurs qui fustigent une manipulation politique pour gruger le peuple naïf. Et Dieu sait que cela a eu de l’effet en son temps…Mais que sont devenus les phosphates qui étaient au cœur de cette fable ? Quelle gestion en est-elle faite ? Profitent-ils aux Togolais ?
Aux mains des étrangers…
Il était présenté comme une victime de la volonté de nationaliser la CTMB et ainsi protéger les biens du peuple togolais qui lui avait valu un attentat d’hélicoptère le 24 janvier 1974 qui, nous raconte-t-on, avait failli lui coûter la vie…Mais Eyadema doit certainement se retourner dans sa tombe, en voyant ceux qui trônent au-dessus des phosphates togolais aujourd’hui. Encore qu’il soit lui-même exempt de tout reproche…
Sur le papier, l’organigramme de la Société nouvelle des phosphates du Togo (SNPT) est constitué de Togolais. Ce sont les nationaux qui assurent la Direction Générale et bien d’autres postes de poids au sein de la société. C’est le compatriote Michel Kezie qui administre. Mais dans la réalité, ce sont les étrangers (sic), les Israéliens notamment qui font la loi, tiennent les vraies manettes, comme s’il n’y a jamais eu nationalisation. Toute chose qui délégitime aujourd’hui la célébration du 24 janvier dit « Fête de la libération économique ».
Qui parle des phosphates togolais, pense tout de suite aux Edery père et fils, les vrais commandants à bord. Selon les indiscrétions, ce sont eux qui décident de tout, la commande des équipements, la commercialisation, la fixation des prix, bref régentent les phosphates togolais. Le père serait encore au Togo la semaine écoulée pour, dit-on, rendre compte à qui de droit. Ce n’est pas pour le roi de Prusse qu’ils ont été récemment décorés…
Eyadema lui-même n’est pas étranger à ce bradage des phosphates togolais aux expatriés. La première privatisation déguisée avec cession de plus de 50 % des parts au privé avait eu lieu sous son règne, en 2002, avec l’IFG, Internationnal Fertilizer Group qui prenait la suite de l’OTP, fruit de la nationalisation à l’époque. Mais l’expérience, quoique courte 5 ans), a été amère et la collaboration avait fini devant les tribunaux…
« Sous la pression des instances financières internationales, le Togo a privatisé cinquante pour cent des phosphates en créant l’IFG. Mais il s’est agi d’une privatisation ratée. Le partenaire tunisien n’avait ni la compétence, ni les moyens financiers de ses ambitions. Le déclin de la production phosphatière s’est accéléré. La dégradation des instruments de travail était telle qu’il faut rendre hommage aux 2500 employés qui, par leur travail et leur acharnement, ont évité l’arrêt total de la production. Il n’empêche que celle-ci avait baissé de moitié et la principale ressource d’exportation du Togo ne pouvait plus procurer les devises dont le pays avait tant besoin », avait écrit en 2007 sur Republicoftogo le fameux Koffi Souza.
Opacité totale…
Le Togo est le quatrième producteur mondial de phosphate. En termes de qualité, le sien est de bonne qualité et très recherché. Selon les informations, il est presqu’en surface, contrairement aux autres pays où le phosphate est en profondeur et nécessite des moyens plus sophistiqués et coûteux pour son extraction. C’est ce minerai qui fournit au pays sa première source de revenus. Mais les phosphates togolais sont une suite de scandales et victimes d’une opacité de gouvernance.
La gestion a toujours été scandaleuse, de l’OTP à la SNPT en passant par l’IFG. Face aux problèmes de gestion, le reflexe est de changer de nom à la société et c’est reparti pour les mêmes maux. De fait, les phosphates n’ont jamais véritablement profité aux populations, si ce n’est alimenter les poches d’un cercle fermé de personnes. Même les localités qui abritent les gisements sont sinistrées et dépourvues même des infrastructures de base. Ce sont des maladies pulmonaires que les populations récoltent, à côte de la perte des terres cultivables.
Même le personnel qui se sacrifie pour sa production n’est pas bien loti. Il nous revient que des agents sont même payés à 43 000 FCFA. Malgré la flambée des prix sur le marché international, la Direction hésite à rétablir les primes de production et de rendement entre-temps suspendues. Seul un cercle fermé d’employés est chouchouté. Il nous revient que des sursalaires sont payés aux nouveaux ingénieurs qui gagneraient plus que les anciens, que des directeurs et chefs services admis à la retraite en décembre dernier s’accrochent.
Avec la guerre en Ukraine, les phosphates togolais auraient pris de la valeur et devraient avoir été écoulés en grandes quantités et rapporter des ressources financières énormes dans les caisses de l’Etat. Selon les indiscrétions, au cours de l’année passée, c’est un volume total d’un million cinq cent mille (1 500 000) tonnes qui a été produit par le Togo, ce qui représente un chiffre d’affaire de 186 milliards FCFA. On parle d’un record, en tout cas sous l’ère SNPT. Mais où vont tous ces sous ? Même la contribution aux divers budgets de l’Etat est rachitique…
La gestion des phosphates au Togo a toujours été faite au rythme de l’opacité. Elle n’a jamais été aussi obscure que sous l’«expert financier ». Il faudra même composer, dans un futur proche, avec l’épuisement des gisements de la souche exploitée depuis les années 1957, selon les sources…
Source : L’Alternative