Par Rodrigue Ahégo
La dictature, forme de gouvernement caractérisée par la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul individu ou d’un groupe restreint, se présente comme une alternative autoritaire à la démocratie. Elle s’impose souvent dans des contextes de crise, de guerre, d’instabilité politique ou sous prétexte de préserver l’unité nationale et l’ordre public. Les raisons invoquées pour justifier une dictature peuvent être multiples : vide institutionnel, faiblesse des institutions démocratiques, peur du chaos, menace sécuritaire, ou encore volonté de réforme rapide sans les lenteurs du processus démocratique.
Ses manifestations sont visibles à travers la suppression des contre-pouvoirs, la restriction des libertés publiques, l’instrumentalisation de la justice, la répression des opposants, le culte de la personnalité, le contrôle des médias et l’usage abusif de l’appareil sécuritaire. Les décisions sont prises de manière unilatérale, sans débat ni consultation populaire.
Certains partisans soutiennent que la dictature peut avoir des avantages dans des situations exceptionnelles : rapidité dans la prise de décision, efficacité dans l’exécution des politiques, capacité à imposer une discipline ou à rétablir l’ordre. Néanmoins, ces arguments peinent à résister à l’analyse approfondie des conséquences qu’elle engendre.
En effet, les inconvénients de la dictature sont nombreux et souvent dramatiques : absence de démocratie, violations massives des droits humains, absence de renouvellement et de promotion du leadership, corruption systémique, exclusion politique, instrumentalisation des institutions et de la justice, manipulation de l’armée transformée en outil de répression, d’oppression et d’occupation, et développement bloqué. Dans une République, cela conduit à une fracture entre l’État et les citoyens, à la désillusion populaire, et à des crises sociopolitiques répétées. Elle fait penser à une personne, au groupe auquel il appartient ou au clan d’où il est issu, que le pays est une propriété privée, une épicerie familiale, un héritage…
En somme, si certaines dictatures ont pu faire avancer certains chantiers de développement dans des contextes particuliers, leur tendance naturelle à refuser l’alternance et à priver les peuples de leur souveraineté rend leur impact globalement négatif. A terme, elles affaiblissent l’aspect républicain de l’Etat, confisquent la volonté populaire et installent durablement la corruption, la violence, l’impunité, la peur et l’arbitraire comme mode de gouvernance.
L’Afrique de l’Ouest et la dictature
Les dictatures ouest-africaines ont ceci de particulier qu’elles brillent par leur capacité à contrôler, soumettre, manipuler et réprimer, assassiner, tuer, censurer, pousser à l’autocensure, contraindre à l’exile, piller les ressources, accaparer les terres, exproprier les populations…, mais échouent lamentablement dans ce qui est pourtant leur principale mission : améliorer la vie des citoyens, garantir la justice sociale, développer les infrastructures sociaux de base, assurer l’éducation, la santé, l’emploi, promouvoir le vivre ensemble, promouvoir le mieux-être et le vivre ensemble, promouvoir la démocratie, bref satisfaire les besoins exprimés par les populations.
Caporalisation, répression, manipulation, ces outils de soumission des populations
Les régimes autoritaires d’Afrique de l’Ouest excellent dans l’art de :
– caporaliser toutes les institutions républicaines : Assemblée nationale, Cour constitutionnelle, Cour des comptes, commissions électorales… toutes deviennent des instruments au service du pouvoir dictatorial ;
– instrumentaliser la justice : les magistrats deviennent des outils de règlements de comptes contre les opposants, les journalistes, les activistes, les défenseurs des droits humains. Avec la complicité de la justice devenue source d’insécurité pour les populations, les dictatures criminalisent l’opposition, l’activisme…
– contrôler l’armée et les forces de sécurité : les forces de défense et de sécurité sont utilisées non pour défendre la nation, non plus pour assurer la sécurité et la protection civile, mais pour étouffer et réprimer avec violence les contestations populaires, étouffer l’espace civique, traquer les opposants, sécuriser les intérêts des membres des clans constitués autour du pouvoir. Leur priorité devient la protection du dictateur au pouvoir, en violation de leur rôle régalien qui justifie leur existence et au nom duquel elles sont identifiées.
– diviser et neutraliser l’opposition : l’infiltration, la corruption, l’achat de conscience… sont des outils utilisés par les dictateurs pour contrôler l’opposition, réprimer ses leaders. En cela, ces régimes dictatoriaux maintiennent un paysage politique affaibli, rendant difficile, l’évènement de d’une alternance pacifique.
– réduire la société civile au silence : par l’intimidation, les arrestations, les restrictions de l’espace civique, la suspension d’associations et de médias…, les dictatures musèlent les acteurs et restreignent l’espace civique.
L’échec criard sur le front du développement et de la démocratie
A côté de toutes ces pratiques qui sont des outils de travail rendant performantes les dictatures surtout en matière de verrouillage politique, se cultivent ou s’alimentent une médiocrité désespérante qui se manifeste :
– dans la planification du développement : plans de développement fictifs, projets budgétivores sans impact réel, services publics défaillants.
– dans la démocratie : processus électoral vicié, élections truquées, sans transparence, ni crédibilité ; résultats d’élections manipulés, rejet de l’alternance.
– dans la lutte contre la pauvreté : hausse du chômage, explosion de la précarité, pression fiscale excessive, absence de projet ou programme de développement, accès difficile à l’eau, la santé et l’éducation sacrifiées.
– dans la gestion des ressources : corruption systémique et endémique, clientélisme, passation gré à gré des marchés publics, détournement massif des deniers publics, fuites des capitaux ou évasions fiscales, opacité dans la gestion et pillage des ressources naturelles, endettement chronique.
Le paradoxe est donc clair : ces régimes sont forts pour se maintenir au pouvoir, mais faibles pour construire un État au service du peuple.
Pourquoi cette médiocrité renforce leur longévité ?
La médiocrité devenue outils de gouvernance dans les dictatures, à notre compréhension, contribue à renforcer leur longévité. Quelques raisons pratiques identifiées :
– un peuple appauvri est plus facile à manipuler : quand on lutte pour survivre, on a peu de force pour résister, on néglige la prise de responsabilité pour se libérer, on se bat contre la misère quotidienne plutôt que de se révolter pour mettre fin à la dictature qui est la cause de la pauvreté extrême.
– une opposition affaiblie est plus facile à contrôler : en maintenant un système inégal, les dictateurs éliminent les alternatives. Ils usent de manipulations, d’instrumentalisations, de mensonges, de fausses nouvelles pour anéantir les leaders qui les combattent, amenant les populations à les détester, rabaisser, calomnier… Ils les livres à la vindicte populaire, les présentant aux yeux des populations comme des traitres, des vendus, des corrompus. Ils font croire aux populations que les leaders combattant qui sont restés au pays sont leurs alliés. Et les populations finissent par haïr ceux qu’eux-mêmes ont élu comme conseiller municipal ou indirectement Maire.
– la peur remplace le débat démocratique : par la répression, ils empêchent toute remise en question de leur gouvernance. Ils font croire aux citoyens naïfs qu’il faut quémander l’espace de liberté, les faveurs, le pain, la paix…
– ils organisent des élections sans enjeu réel, où les résultats sont connus d’avance, les institutions électorales inféodées, et les opposants exclus ou muselés.
L’urgence d’un réveil populaire pour restaurer la souveraineté
Il est temps pour les peuples ouest-africains de prendre conscience que la souveraineté leur appartient : le pouvoir ne vient pas des armes, ni des manipulations, mais du peuple.
Il est temps pour les peuples ouest-africains de refuser l’infantilisation politique en exigeant des comptes, revendiquer leur droit de choisir librement leurs dirigeants.
Il est temps pour les peuples ouest-africains de s’organiser pour résister par la société civile, les médias libres, l’activisme, les mouvements citoyens, les actions pacifiques mais déterminées.
Il est temps pour les peuples ouest-africains de se dire comme le disait Thomas Sankara, « la patrie ou la mort, nous vaincrons ».
C’est au peuple qu’il revient de décider à qui donner le pouvoir, pour quoi faire, et pour combien de temps. Ce n’est ni à l’armée de faire allégeance à quelqu’un le nommant ou l’intronisant président de la République ; Ce n’est pas non plus à l’occident d’en nommé et par la suite, cautionner des élections controversées, sorties de tout cadre légal. C’est au peuple et c’est seulement au peuple qu’il revient de décider à qui donner le pouvoir, pour quoi faire, et pour combien de temps
Les dictatures ouest-africaines sont médiocres parce qu’elles ne visent pas le bien commun, mais la survie d’une personne, d’une famille, d’un clan, d’un régime, d’un système. Elles sont fortes pour opprimer, oppresser, réprimer, mais faibles pour bâtir. L’avenir dépend du courage des peuples à reprendre le contrôle de leur destin.
Se taire, c’est cautionner. Se lever, c’est espérer. Résister, c’est déjà construire l’alternance tant espérée.
















