Vers une guerre impitoyable au Port Autonome de Lomé
. Qui sont derrière la nouvelle société ? Le Groupe Bolloré est-il victime d’un piège à con ?
La société française de Vincent Bolloré aurait-elle investi les 300 milliards de francs CFA dans la construction du 3è quai si elle savait qu’après la signature du contrat de concession et d’exploitation avec l’Etat togolais, elle serait mise en concurrence avec une autre, Lomé Container Terminal (LCT) dans le domaine du transbordement ? Pour ceux qui se méprendraient sur la paternité des travaux de construction qui se font sur la bordure de mer entre le Port Autonome de Lomé (PAL) et l’Hôtel Sarakawa, c’est bien à une société privée, Lomé Container Terminal que l’Etat togolais a confié la construction d’un port privé de transbordement, à quelques mètres du domaine du port qui vient d’abriter le 3è quai. Et c’est aussi au nom de l’implantation de cette société que le dragage du sable de mer a été interdit.
Lomé Container Terminal (LCT), fruit d’une association entre Global Terminal Limited (GTL) et China Merchants Holdings (CMHI), est le nom de la société ayant signé une convention avec l’Etat du Togo pour réaliser un projet comprenant la conception, le financement, la construction, la gestion et l’exploitation d’un terminal privé au port de Lomé. A en croire les documents en notre possession relatifs à ce projet privé, « l’objectif des autorités togolaises est de faire du port de Lomé un port commercial international performant pouvant accueillir des navires porte-conteneurs de grande dimension et favoriser une activité de transbordement vers les plates formes voisines et les pays de l’Hinterland ». Et pour y arriver, la société a sollicité le financement de la Banque Africaine de Développement (BAD). C’est ainsi que suite à une étude commanditée par cette banque, il a été déterminé les principaux impacts socio-économiques négatifs du projet que sont la perte d’accès aux terres et ressources économiques, la perte des améliorations apportées à la terre pour les activités agricoles et la perte de moyens d’existence ou de sources de revenus. Un document relatif à la politique de la banque en matière de déplacement involontaire des populations, a été produit et on y découvre un plan de réinstallation des maraîchers concernés et un autre pour les ramasseurs de sable de la zone située entre l’hôtel Sarakawa et le domaine du PAL.
« Les objectifs du projet sont de permettre l’entrée de grands porte-conteneurs dans le port de Lomé et de transborder les conteneurs dans les pays de la sous région, du centre et de sud ouest par des navires de plus petite capacité (feeders) et d’atteindre dans une période de 2 à 3 ans un volume manutentionné de 400.000 à 500.000 EVP (équivalent vingt pieds) par an et à terme un volume manutentionné de 1.500.000 EVP », lit-on dans le « projet du terminal à conteneurs de Lomé » élaboré par la BAD. Mais il est utile de faire remarquer que la zone concédée pour une exploitation privée n’est pas contenue dans les plans d’extension du PAL, et que c’est donc pour un usage privé de cette partie de la côte que le dragage du sable de mer auquel des populations se sont toujours adonnées, a été interdit à Lomé et non pour lutter contre une quelconque érosion, comme on l’a longtemps fait croire. Mais à supposer que ce soit un domaine du PAL, est-il possible que l’Etat togolais héberge deux sociétés exerçant les mêmes activités dans le même périmètre sans tenir informées toutes les parties?
En effet, beaucoup de Togolais considèrent à tort que l’espace en chantier compris entre l’hôtel Sarakawa et le PAL est une œuvre du Groupe Bolloré, et d’autres ont toujours pensé que le 3è quai était à cet endroit. Mais il n’en est rien. Le 3è quai est situé à côté du port de pêche, et dans la conception des responsables du Groupe, « les super-conteneurs venant d’Asie vont choisir le port de Lomé pour son tirant d’eau, sa rapidité de traitement, ses facilités de transbordement et pour sa position géographique qui permet de cibler les pays de l’Hinterland », selon Charles Gafan, Directeur général de la société Terminal du Groupe à Lomé. Et plus de 300 milliards de FCFA ont été investis pour faire du PAL une destination de préférence avec son quai de 450 m de long et ses 15 m de tirant d’eau. Mais avec la LCT que certains qualifient de « port privé » qui compte construire deux quais de 1050 et 1350 m de long, on se demande l’état d’esprit dans lequel devraient se trouver les responsables du Groupe Bolloré et si son PDG Vincent Bolloré savait qu’une autre société concurrente serait autorisée à exercer les mêmes activités dans son rayon d’action avant d’engager les dépenses.
Pour parvenir à réaliser ce projet, les responsables de LCT ont dû recourir au financement de la BAD. Mais au-delà du désir des responsables de LCT de solliciter cette aide, se pose un cas de conscience au président de cette banque. Puisque M. Donald Kaberuka, président de la BAD, a été surpris par les infrastructures du 3è quai qu’il a eu à visiter lors d’une de ses visites à Lomé en mars 2013. « J’ai sous–estimé l’importance de ce projet de Bolloré au Port de Lomé », aurait-il reconnu. Le président de la BAD aurait-il autorisé le soutien financier à la société LCT s’il avait été informé par les autorités togolaises sur les réalités du 3è quai ? A moins qu’il y ait eu rétention d’information, puisque selon les indiscrétions, certains experts qui se sont par mégarde retrouvés sur le chantier de LCT il y a quelque temps, se sont entendu dire que c’était aussi une œuvre du Groupe Bolloré. Etait-ce à dessein que cette fausse information a été servie ? On répond par l’affirmative. Tous ceux qui travaillent sur le site continuent de faire croire que le chantier appartient au Groupe Bolloré.
Le transbordement est un système qui permet aux navires de grandes tailles de décharger des conteneurs de plusieurs pays d’Afrique et même de l’Occident, et qui seront réacheminés par d’autres bateaux pour les destinations finales qui ne disposent pas de port en eau profonde. Comment sera gérée cette concurrence entre les deux sociétés, Terminal du Groupe Bolloré et LCT dans un même port ? En outre, il risque d’y avoir une différence dans le traitement que les autorités pourront réserver aux deux sociétés, étant donné que l’une investit sur ses fonds propres et l’autre recourt à des partenaires financiers, avec bien sûr le soutien de l’Etat, ce qui impliquera des intérêts sur le capital investi évidemment. Mais il reste que les autorités n’ont pas encore communiqué sur ce projet de port privé. Le contrat liant le Togo à la société LCT est-il accessible à tous les citoyens désireux d’en savoir plus sur les conditions de cette « privatisation portuaire » qui n’a pas fait l’objet d’appel d’offres ouvert? Une autre interrogation a trait à la zone d’installation de ce port privé, étant entendu que ce projet pouvait être réalisé ailleurs que dans le domaine du port. En outre, il n’est pas exclu que les réseaux obscurs qui ont pris en otage l’économie togolaise, soient derrière la création de ce « port privé ». Les « commerçants » de la République auraient encore leurs intérêts à faire prévaloir. « Les Togolais seront fiers d’avoir un port complet dans deux ans qui disposera de toutes les structures modernes à l’instar de LCT avec cet impact qu’il engendrera non seulement des milliers d’emplois directs, mais aussi des emplois indirects, notamment des activités commerciales qui se développeront sur et aux alentours du port. Le LCT offrira surtout à la jeunesse estudiantine des opportunités de formations de haut niveau estimées à des coûts de milliards de nos francs. Mieux encore, il entrainera de facto le développement du PAL et notamment la réalisation d’autres structures telles l’embranchement du réseau de chemin de fer qui reliera notre pays à ses voisins, la réhabilitation et la modernisation du réseau routier togolais et principalement le corridor de la CEDEAO », s’est réjoui à juste titre le ministre des Travaux publics et des Transports, Ninsao Gnofam lors de sa visite sur le site le 15 octobre 2013. Ça s’appelle du « win win » à la togolaise !
Pourquoi c’est justement dans le domaine du PAL et non ailleurs ? Cette question tient au fait que dans un autre registre, ce sont les mêmes autorités qui ont déjà eu à signer deux contrats d’exploration à deux sociétés concurrentes sur les mêmes blocs pétroliers en offshore et qui menacent par la suite d’expulser l’une d’elle après que celle-ci a engagé des dépenses énormes dans le cadre de ses travaux de recherches. Une assignation de l’Etat togolais devant des juridictions serait dans les airs. Espérons qu’on n’en arrivera pas là aussi dans ce dossier.
Godson K.
Liberté Togo