Au fur et à mesure que les jours passent, le niveau de stress monte pour les personnes et groupes de personnes installés tout au long de la plage de Lomé. Des personnes qui exploitent diverses activités économiques en bordure de mer. Et pour cause, ces gens ne disposent plus que de quelques jours pour ‘’déguerpir’’ de leurs lieux de travail, comme l’indique le maire de la commune du Golfe-4 dans un courrier envoyé aux responsables des bars, restaurants, gares routières et parkings installés sur le pourtour maritime allant de Kodjoviakopé à Baguida.
« Il est demandé à tous ceux qui ont des installations aménagées sur le littoral de libérer les espaces occupés dans un délai de 6 mois à compter de la date de publication dudit communiqué », indique la mairie de la commune Golfe-4 dans une note parvenue aux concernés.
Lors d’une réunion organisée le 5 février dernier, les commerçants et restaurateurs indexés, indiquent n’avoir été informés de cette mesure qu’en début du mois de février 2021. Une position que rejette la mairie Golfe-4 qui soutient avoir fait son travail d’information dès le début de cette affaire.
Le projet WACA mis en avant…
Selon les informations obtenues à la suite de recoupements, la plage de Lomé va bientôt accueillir le Projet d’investissement de résilience des zones côtières en Afrique de l’Ouest dont le sigle anglais est WACA ResIP West Africa Coastal Area. Un projet dont l’objectif, selon les autorités togolaises, est de renforcer la résilience des communautés et des zones cibles dans la zone côtière ouest africaine et qui concerne six (6) pays de la côte à savoir le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, Sao Tomé Principe, le Sénégal et le Togo.
Ce projet se présente comme une opportunité pour les nouvelles autorités municipales, qui font leurs premiers pas dans un contexte de décentralisation et va permettre de concilier le développement économique et social à la protection de l’environnement, disent les experts.
Le projet WACA selon son coordonnateur au Togo, Cdt Bakatimbé Tchannibi, est conçu pour renforcer la résilience des communautés face aux effets des changements climatiques. Sa particularité est que la grande partie des activités seront menées par les commissions préfectorales de Développement Durable (CPDD). Le projet fait partie d’un vaste projet sous régional. À terme, le segment entre Agbodrafo et Aného frontière Benin, long de 18 km sera protégé, le chenal de Gbaga sur 24 km sera dragué, 3000 ménages grâce aux bassins d’orage, seront à l’abri des inondations.
Le projet Waca est également conçu pour lutter contre la pauvreté et soulager les communautés bénéficiaires et va faciliter les actions d’assainissement, la mise en place d’un observatoire du littoral pour le partage des connaissances et la création puis l’opérationnalisation de 7 unités pilotes de transformation des produits locaux.
Un millier d’emplois en danger
Nous avons réussi à rencontrer les personnes concernées par cet avis de déguerpissement qui nous ont confié leur ressenti et leur approche de la question. Ils disent ne pas être opposés à la mise en œuvre du projet Waca au Togo. Au contraire, ils l’encouragent, mais demandent une prise en compte de leurs activités dans le cadre de ce projet.
Houessou Amevi est président de l’Association des Conducteurs routiers de Hollando et président du Conseil d’Administration de l’Entreprise des Transporteurs 228 (ET-228). Il nous explique leur position en des termes clairs.
« C’était le dimanche 31 janvier 2021 que nous avons reçu un courrier de la part de la mairie du Golfe-4 nous donnant un préavis de déguerpissement des lieux, et ce, d’ici le 15 février 2021. Nous avons décidé de faire une démarche à l’endroit du maire du Golfe-4 afin de le supplier. Nous voulons que si possible, nos activités soient insérées dans le projet qu’ils veulent mettre en œuvre ici. Nous voulons la construction d’un parking ici. Il y a quelques mois, la Chambre de Commerce et d’Industrie du Togo était venue nous rencontrer avec un projet et des géomètres. Ils veulent nous construire une gare ici et je sais que le projet est en court. Nous lançons un cri de cœur à l’endroit de Monsieur le maire et nous lui demandons de voir tous ces aspects. Nous demandons que s’il y a un projet qui vient ici, qu’on fasse tout pour nous insérer dans ce projet. Qu’on construise une gare digne de ce nom ici afin que nous puissions continuer de faire notre travail. Nous sommes sûrs que le maire nous écoutera. C’est un responsable politique qui connaît bien les difficultés des jeunes togolais. Ce sont ces genres de boulots qui nous occupent nous aussi et nous aident à subvenir aux besoins de nos familles. Ceux qui étaient ici et qui s’adonnaient au banditisme, ce sont des gens qui n’avaient aucune occupation et qui s’attaquaient aux passants. Lorsque nous sommes arrivés ici, nous les avons récupérés et certains sont devenus des chauffeurs, d’autres nous aident à avoir des clients et ils ont abandonné leurs larcins », a-t-il laissé entendre.
Une présence indispensable
Selon le récit des premières heures de leur installation sur la plage de Lomé, on apprend que le lieu était un repaire de bandits de grand chemin et de brigands.
« Il y a plusieurs années de cela, cet endroit était un secteur dangereux. Lorsque les petits pickpockets volaient au Grand marché de Lomé, c’est à Hollando ici qu’ils couraient pour se cacher. On ne pouvait pas les poursuivre jusqu’ici. À notre arrivée, nous avons travaillé à sécuriser l’endroit puisque le Grand marché de Lomé ne dispose pas de parking aménagé. Nous nous sommes battus contre les petits brigands et nous les avons chassés. Nous avons ensuite installé l’électricité sur la plage parce qu’il n’y avait pas de courant ici. Ensuite, la mairie du Golfe-4 nous a approchés et nous avons commencé par payer une quittance de 100 000 F CFA par mois à la mairie soit 1 millions 200 mille F CFA par an. D’autres groupes payent 800 000 F CFA par an à la mairie pour les redevances », a poursuivi M. Wouessou Amevi qui continue de plaider pour une solution concertée pour préserver leurs activités.
Avant de débuter le travail ici, ça été un peu compliqué, confie de son côté, Kodjo Narcisse Houmali, responsable d’un parking situé en face d’Ecobank Grand marché.
« Ici, c’était un endroit très dangereux. Avant, il y avait des jeunes désoeuvrés et drogués qui s’attaquaient aux passants et à ceux qui venaient acheter des marchandises. Nous les avons combattus. En plus de cela, il n’y avait aucun endroit où garer les engins. Les gens garaient leurs voitures et motos partout et le Grand marché était encombré. On volait les motos et on enlevait des trucs sur les voitures. Aujourd’hui tout cela appartient au passé. Nous avons proposé une solution à ce problème et tout est rentré dans l’ordre aujourd’hui. Tous ceux qui sont avec nous aujourd’hui, certains parmi eux étaient des brigands. Aujourd’hui, ils se sont reconvertis en laveurs de motos ou en surveillant d’engins contre quelque chose. Nous savons que les autorités aussi travaillent pour le développement du pays. Ils pourront nous guider et nous prodiguer d’utiles conseils dans le but de mieux faire. Mais nous renvoyer de notre lieu de travail, ça n’arrange rien. L’objectif de nos autorités, c’est que tout le monde travaille et trouve son petit pain quotidien. Donc ils ne peuvent pas nous mettre à la rue et se sentir heureux lorsqu’ils mangent avec leur famille en nous laissant nous et nos enfants, affamés », indique celui-ci.
Des gares routières et parkings sur la plage… Une solution à un problème réel
« Nous voulons que Monsieur le maire plaide notre cause auprès de ses frères ministres afin que nous puissions sauver nos emplois », a supplié le président de l’Association des conducteurs routiers de Hollando qui rappelle que pour combattre les braquages récurrents au Grand marché de Lomé, le gouvernement a eu à interdire la circulation des engins à deux-roues dans le marché.
Et le seul endroit disponible aujourd’hui où les visiteurs et les commerçants arrivent à garer leurs motos, ce sont les parkings et gares aménagés à la plage. « Nous jouons parfaitement le rôle de parking pour eux. Mais si on nous renvoie d’ici, où tout ce beau monde va aller ? Les commerçantes et commerçants qui viennent acheter les marchandises dans le Grand marché, où vont-ils prendre les transports ? Ils vont aller à Akodessewa qui se trouve à plus de 10 kilomètres d’ici avec leurs marchandises sur la tête ? », s’est-il interrogé avant d’ajouter : « Notre présence ici est un grand avantage pour les commerçantes et commerçants. Lorsqu’ils arrivent et achètent des biens au Grand marché, ils ont immédiatement les voitures de transport ici. Ce qui leur évite des dépenses impossibles en termes de transport. Nous employons également des jeunes désoeuvrés ici. Tout le monde y gagne ».
Interpellé sur la question, Jean-Luc Assiakolé, membre de la cellule de communication de la commune Golfe-4, reconnaît l’existence d’un tel problème et se défend. « C’est vrai que c’est la mairie qui s’occupait de la plage. Mais à un moment donné, le gouvernement a décidé que ce ne serait plus le cas et que c’est l’ANASAP qui s’en chargerait désormais. Les contrats que la mairie avait avec les gens là-bas ont été remis en cause. C’est sur la demande du gouvernement que la décision a été prise et la lettre envoyée. On en est pour rien. C’est un projet qui ne concerne pas seulement le Togo », a-t-il confié à notre rédaction.
Celui-ci indique que les personnes concernées par la décision ont été bel et bien averties et qu’il y a eu des notifications qui leur ont été envoyées les informant que bientôt, ils vont devoir vider les lieux. « Malgré tout, certains d’entre eux ont continué à construire sur les lieux, et même en matériaux durables », s’est-il désolé.
Le projet Waca est un projet qui place au centre de ses objectifs, l’homme et son bien-être. Il s’agit d’ailleurs d’un projet ambitieux et intéressant comme le reconnaissent les conducteurs et gestionnaires de parkings qui ont installé leurs commerces sur la plage. Elles ne demandent nullement le retrait de ce projet. Elles n’ont pas pour ambition de s’opposer à sa mise en œuvre au Togo. Elles ne demandent qu’une chose. La prise en compte de leurs intérêts dans le cadre du projet Waca. Construire des parkings, des gares routières ou d’autres infrastructures d’utilité publiques à proximité du Grand marché de Lomé en impliquant les occupants de ces lieux, cela ne va pas à l’encontre des objectifs du projet Waca.
Mais mettre au chômage ou à la rue, des milliers de bouches, c’est une décision qui va à l’encontre du développement et des politiques de lutte contre la pauvreté menées par le gouvernement togolais et ses partenaires. Il s’agit là d’un aspect à prendre en compte.
A.Y. / afreepress