Le sentiment partagé par l’écrasante majorité des Togolais est que nos dirigeants n’ont pas de vision pour notre pays. Pendant que dans le voisinage, tous les Etats avancent de manière irréversible en matière de développement et de modernité, les dirigeants togolais, eux, sont fondamentalement préoccupés par la conservation du pouvoir d’Etat. Depuis 60 ans, le clan Gnassingbé tient fermement la barre et contrôle tout l’appareil étatique, d’un pays dont la population majoritairement jeune, aspire à l’alternance. Après 20 ans au pouvoir, à la suite des 38 années de règne absolu de son père, Faure Gnassingbé n’entend pour rien au monde lâcher le trône et se donne tous les moyens pour ne pas perdre le pouvoir.
C’est dans cette dynamique que son régime a cassé la tirelire et déboursé des dizaines de milliards de FCFA, entre 2019 et 2022, pour s’offrir le logiciel espion israélien Pegasus afin de surveiller comme des criminels, opposants, leaders religieux, journalistes, militants des droits de l’homme… A l’origine, cette arme numérique très sophistiquée, censée être destinée à la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, a été détournée de son objectif, pour espionner les voix critiques au régime des Gnassingbé. Selon les révélations faites à l’époque par journal français « Le Monde », plus de 300 Togolais avaient été ciblés par le logiciel espion sioniste. Un immense scandale qui avait secoué le pays. D’après les informations, le coût d’acquisition du logiciel était de l’ordre de 30 millions de dollars (soit 15 milliards FCFA), tandis que chaque téléphone espionné coûtait, au bas mot, 13 millions de FCFA au contribuable togolais.
Des fonds colossaux jetés par la fenêtre et qui auraient pu servir à construire des écoles, des centres de santé ou renforcer ceux qui existaient déjà, doter les localités de l’intérieur d’eau potable, etc.
En outre, au mois de juin 2025, suite à des manifestations citoyennes organisées au Togo et réprimées dans le sang, le régime de Faure Gnassingbé a imposé de fortes restrictions d’accès à l’Internet pendant plusieurs semaines, dont le but inavoué est d’isoler le pays et d’empêcher les défenseurs des droits de l’homme de « documenter et signaler les nombreux crimes et assassinats ». Pendant plus de trois (03) mois, plusieurs plateformes de communication massivement utilisées par les jeunes Togolais, Facebook, Tik Tok, Telegram, YouTube, Signal notamment, sont devenus inaccessibles. A l’ère de la révolution numérique, ces restrictions ont insidieusement affecté la communication quotidienne, les activités socio-économiques, les transactions en ligne, les services professionnels…Le régime avait même déployé les grands moyens pour bloquer les applications VPN qui permettaient de contourner la censure.
Pour le gouvernement, le blocage de l’Internet était une réponse aux appels à manifester lancés sur les réseaux sociaux par les blogueurs, artistes et activistes de la diaspora. Sauf que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Depuis des mois, aucune manifestation pacifique des partis politiques et des acteurs de la société civile n’était possible au Togo. Toutes les manifestations étaient systématiquement interdites, très souvent avec des motifs loufoques. Fort aux entraves au libre exercice des activités des partis politiques et des organisations de la société civile, la nature ayant horreur du vide, ce sont les membres de la diaspora qui ont pris la relève appelant les populations à descendre dans les rues.
Comme si toutes ces mesures répressives ne suffisaient pas, le Procureur de la République, Talaka Mawama, est monté au créneau le 03 octobre 2025, pour agiter le spectre de la criminalisation du droit à la liberté de réflexion et d’opinion contre toute publication, appréciation ou commentaires sur les réseaux sociaux. « Nous sommes tous avertis. Désormais, quiconque produira, reproduira, diffusera ou partagera un contenu sortant du cadre légal sera l’objet de poursuites pénales sans compromis et sans complaisance. C’est ce que le ministère public s’assigne à faire », a menacé Talaka Mawama. « Il en sera de même pour quiconque publiera un commentaire validant une publication illicite. La complicité par approbation expose également à des poursuites », a ajouté le Procureur de la République, qui se fonde sur l’arsenal juridique togolais, notamment le nouveau code pénal, la loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité, le code de l’enfant, la loi relative à la protection des données à caractère personnel pour justifier sa décision.
Voilà comment la liberté de réflexion et d’opinion vient d’être remise en cause au Togo. « Est-ce le nouvel épouvantail juridique brandi par la dictature chancelante pour tenter vainement de juguler la vague de contestations et dénonciations (sur les réseaux sociaux) de la corruption endémique, des arrestations arbitraires, de l’injustice sociale, etc. au Togo ? Les prisons togolaises surpeuplées transformées en centres lugubres de tortures (des détenus politiques) pourraient-elles accueillir les millions d’habitants martyrisées mais déterminées à exprimer leur aspiration profonde et légitime à la liberté et à la dignité en clamant leur mal de vivre et leur indignation sur les réseaux sociaux ? » s’interroge le concitoyen, Philippe Kokou Amedodji.
Pour lui, si plusieurs observateurs de la vie politique considèrent déjà le Togo comme une prison à ciel ouvert de 56 000 km2 où 8 millions d’habitants sont privés de nourriture, d’eau potable, de soins de santé, d’enseignement, de liberté et de dignité, alors cette nouvelle provocation de la dictature par la voie du procureur de la république a de fortes chances de galvaniser la jeunesse togolaise pour accentuer la pression de son combat, juste et légitime, pour l’abolition de la faim et de la soif pour la liberté et la dignité et la souveraineté populaire au Togo.
Opportunément, cette sortie ubuesque de Talaka Mawama intervient une semaine après que son homologue d’Abidjan, Koné Braman Oumar, procureur de la République près le tribunal de première instance d’Abidjan, a mis en garde les Ivoiriens contre les dérives sur les réseaux sociaux.
« La constitution ivoirienne proclame la liberté d’expression. Mais dans sa mise en œuvre, ce principe a des exceptions. Chaque fois que vos propos porteront atteinte à la sécurité nationale, vous trouverez le procureur de la République sur votre chemin. A compter d’aujourd’hui, la récréation est terminée. Nous allons passer à la vitesse supérieure au niveau de la répression », a-t-il prévenu, exhortant les internautes à filtrer les publications et les commentaires sur leurs pages respectives au risque d’être poursuivis par le ministère public.
La Côte d’Ivoire organise dans deux semaines, le 25 octobre 2025, l’élection présidentielle à hauts risques, on peut comprendre que Koné Braman Oumar ait fait cette sortie pour calmer les ardeurs des uns et des autres. Le contexte n’est pas le même au Togo où l’élection présidentielle est d’ailleurs supprimée. Il s’agit donc d’un suivisme aveugle qui ne dit pas son nom.
On est prompt à copier chez les autres ce qui ne fait pas avancer notre pays, curieusement, on demeure particulièrement autiste et inefficace quand il s’agit de prendre le bon exemple sur les voisins…
M.A
Source : Liberté















