Avec un chef d’État précédé d’une si mauvaise réputation, les Nigérians craignent que leur pays ne s’engouffre dans une impasse inextricable.
Bola Ahmed Tinubu, figure politique connue du paysage nigérian, est donc, depuis ce 29 mai, pour le meilleur et le pire, le nouveau président du Nigeria. Il promet de redresser l’économie de son pays, et nombre de ses concitoyens le croient. Ont-ils raison ?
Certainement, puisque cet engagement part d’un constat partagé par tous : l’économie du Nigeria est mal en point et nécessiterait une thérapie vigoureuse. Ceux qui croient aux assurances du président Tinubu s’appuient sans doute sur son bilan de gouverneur de l’État de Lagos, qui n’est pas totalement négatif, même si beaucoup s’interrogent sur sa fiabilité, sur son passif multiforme. Il n’a, certes, pas été condamné en justice, mais n’a, pour l’essentiel, été « sauvé » que par des commissions plus ou moins arrangeantes, au grand dam de la société civile, qui milite pour la redevabilité des hommes politiques.
Le plus troublant, ce sont les plaidoyers de certains amis du désormais président du Nigeria. Qui, pour justifier leur désir de le voir accéder au pouvoir, estimaient devoir faire valoir qu’il avait suffisamment aidé d’autres à y accéder, et que c’était, désormais, son tour. Cette approche presque jouissive de la responsabilité politique est d’autant plus inquiétante qu’elle évacue la mission elle-même, l’ampleur effrayante de la tâche. Ces politiciens, obnubilés par leur propre jouissance, oublient d’imaginer qu’un jour viendra, où il leur faudra accorder, enfin, son tour au peuple nigérian, un tour à la hauteur de l’immensité des richesses nationales.
Certains vous diront qu’il prend sa part. Le pays avance. La preuve, l’inauguration, par le président sortant, de cette gigantesque raffinerie de pétrole …
Qu’ils aient éprouvé le besoin d’inaugurer cette raffinerie pas tout à fait opérationnelle, juste pour que le président Buhari puisse s’en glorifier avant son départ, est déjà triste. Comme si le show, pour impressionner, passait avant les réalités concrètes de ce pays, tout surpris, il y a quelques années, de se retrouver première économie d’Afrique, juste par le jeu des variations des modes de calcul. Aucun effort pour consolider cette première place, d’ailleurs perdue, depuis.
Le Nigeria se saoule de gigantisme, y compris dans le pire. On détourne massivement, on corrompt dans la démesure. Tandis qu’une proportion infime de l’élite économique et politique vit à l’américaine, dans le futur, l’immense majorité croupit dans un sous-développement indigne. La sulfureuse réputation qui précède le président Tinubu n’en alimente que davantage les appréhensions et autres superstitions sur le destin du Nigeria, désormais dirigé par un tel homme.
Que viennent donc faire les superstitions dans tout cela ?
Le président Bola Tinubu avait le regard vide, lorsque l’évêque, priant au début de la cérémonie d’investiture, a supplié le ciel pour que le nouveau président ne meure pas en fonction. C’est le président de toutes les incertitudes. D’aucuns craignent même que les Américains n’usent des dossiers passés, notamment de trafic de drogue, comme épée de Damoclès, pour le tenir en respect. Même le nom qu’il porte devient, soudain, source de préoccupations. Au cœur de la ville de Lagos, il est, en effet, un carrefour jouxtant une grande église évangélique et des commerces hétéroclites, qui porte le nom de Tinubu Square, célèbre pour ses embouteillages monstres, dont on pouvait mettre des heures à s’extirper. Par extension, Tinubu Square est devenu le synonyme des situations inextricables, sans issue.
Le nom donné à cette place ne se réfère pas au président, mais à Efunroye Tinubu, une aristocrate yoruba, qui vendait des esclaves aux négriers brésiliens et portugais, au 19e siècle. L’actuel président ne serait même pas un descendant de cette Tinubu. Il aurait juste choisi le nom de cette famille dans laquelle il a été élevé. Et certains prient le ciel pour qu’avec un président Tinubu précédé d’une si mauvaise réputation, le Nigeria ne se s’engouffre dans une impasse inextricable, une Tinubu Square…
Jean-Baptiste Placca