Dans son message de vœux adressé aux Togolais, Agbeyome Kodjo révélait des négociations menées au profit du pouvoir en place par Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan et le regretté Révérend-Père Etienne Amouzou, afin de l’amener à renoncer à sa victoire (sic) à la présidentielle du 22 février 2020. Depuis, l’affaire fait grand bruit et vaut sur les réseaux sociaux tout un procès à l’archevêque métropolitain de Lomé et à toute l’église catholique. Mgr Barrigah-Bénissan a-t-il vraiment joué ce rôle à lui prêté par celui qui se considère comme le « Président démocratiquement élu » ? Le Révérend-Père Pierre Marie-Chanel Affognon, Aumônier national des cadres catholiques et Directeur de l’enseignement catholique a mené des recoupements et écouté surtout l’accusé. Il donne les précisions nécessaires dans le courrier ci-dessous adressé aux cadres et enseignants catholiques.
« Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. » (Mt 5, 11)
Lomé, le 04 Janvier 2021
Aux cadres catholiques du Togo,
Aux enseignants catholiques du Togo,
Aux hommes et femmes de bonne volonté,
Frères et sœurs bien-aimés en Jésus Christ,
Vous êtes très nombreux à m’écrire et à m’interpeller sur un contenu du « message à la Nation », de Dr Gabriel KODJO AGBEYOME, rendu public sur les réseaux sociaux en décembre 2020.
Mais avant tout, je voudrais vous souhaiter une bonne, heureuse et sainte année 202l. Meilleurs vœux dans la foi, l’espérance et la charité avec la bénédiction de Dieu.
Dans vos interpellations vous m’avez dit et écrit que vous ne comprenez pas le silence de l’Eglise catholique face à toutes les accusations commencées comme des rumeurs et qui, aujourd’hui, sont assumées clairement par des personnalités. Comme je vous l’ai souvent exprimé, l’Eglise est «Mater et Magistra ». Comme Mère, elle ne peut pas tout dire et elle ne peut non plus répondre à toutes les provocations. Dans ce sens, le silence est nécessaire quand cela fait plus de bien que les discours. En effet, le Psalmiste déclare: « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. » (Ps 130 (131)) Le silence des autorités catholiques face aux accusations est des fois lu et interprété comme une démission ou une complicité. Cependant, avoir une telle conception, n’est-ce pas opter pour une apologie du brouhaha ou d’un bavardage dangereux et sans discernement? La loi suprême de l’Eglise catholique reçue de son Seigneur et Sauveur la voici: «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (ln. 15,12). Nous avons besoin du silence pour accueillir cette parole et la mettre en pratique. Voilà pourquoi, parlant de la valeur du silence, un frère de la Communauté de Taizé écrivait: « (…) Peut-être nous évitons parfois le silence, (…) parce que la paix intérieure est une affaire risquée.’ elle nous rend vides et pauvres, elle dissout l’amertume et les révoltes, et nous conduit au don de nous-mêmes. Silencieux et pauvres, nos cœurs sont conquis par l’Esprit Saint, emplis d’un amour inconditionnel. De manière humble mais certaine, le silence conduit à aimer. » 1 L’Eglise catholique est également «Magistra », Ainsi elle doit enseigner, éclairer et accompagner ses fils et filles sans oublier les personnes de bonne volonté. Voilà pourquoi à travers cette lettre je romps le silence pour éclairer ceux et celles dont j’ai la charge pastorale sans aucun mérite de ma part.
En effet, la déclaration suivante est contenue dans le message susmentionné et pour lequel vous n’avez cessé de m’interpeller: « Le moment est venu à Mgr Nicodème Barrigah et à son émissaire le Révérend Père Etienne Amouzou de dire, par la grâce de Dieu au peuple togolais, le contenu de l’ordre du jour retenu pour la rencontre officielle avortée avec le pouvoir sortant. On ne peut pas garder à la sacristie la vérité qui libère le peuple de Dieu de la servitude et de l’indicible souffrance.Je ne suis pas le seul à l’avoir écouté. Il y a Mgr Philippe Fanoko Kpodzro, les membres du conseil des sages de la DMK et l’assistant personnel du prélat. Faure, dit-il, reconnait sa défaite et voulait conclure un marché avec la DMK pour se maintenir au sommet de l’Etat. Nous étions le 20 avril 2020. L’attaque de ma résidence, la nuit du 20 avril, suivie de mon enlèvement, avec une violence inouïe le 21 avril dernier, mit fin à cette perspective ».
Devant cette lourde accusation, vous voudriez savoir ce qui s’est passé. Tout en reconnaissant à son Excellence Mgr Nicodème BARRIGAH le droit de garder le silence, au nom de l’Aumônerie des cadres catholiques et de la Direction nationale de l’enseignement catholique, j’ai rencontré Mgr BARRIGAH et recueilli sa version des faits. Je me fais le devoir pastoral de vous l’adresser.
Mgr m’a dit qu’il s’agit d’un grossier montage parce qu’il n’a été approché à aucun moment par Monsieur le Président de la République pour proposer un marché à Monsieur KODJO AGBEYOME. Il se demande quand et où cela aurait-il eu lieu? A cet effet, le protocole et les archives de la Présidence de la République peuvent être contactés pour toute fin utile. Quant à une rencontre avec l’Ambassadeur de France pour le même sujet, Mgr a été catégorique: Sa dernière rencontre avec lui datait de juillet 2018. Là également le protocole de l’ambassade de France peut être consulté pour preuve. Car il s’agit, selon lui, d’une pure invention, intentionnelle ou liée à une incompréhension? Il n’en sait rien. Par contre, au sujet de la démarche de rapprochement entre la Dynamique Monseigneur KPODZRO (DMK) et le Président Faure GNASSINGBE, Mgr BARRIGAH soutient que c’est un membre éminent de la DMK, dont il m’a révélé le nom et que j’ai rencontré et qui l’a confirmé, accompagné d’un responsable d’une organisation de la société civile togolaise, qui, alarmé par la menace d’arrestation de M. KODJO AGBEYOME suite à sa deuxième convocation par le SCRIC, a prié Mgr BARRIGAH d’intervenir pour trouver un terrain d’entente entre les deux parties. C’est donc sur demande personnelle d’un des responsables de la DMK que Mgr a pris l’initiative. Ainsi, suite au message de ce dernier, le 07 avril 2020 et la rencontre avec lui le 08 avril 2020, Mgr BARRIGAH a envoyé chez Mgr KPODZRO le Père Etienne AMOUZOU pour s’assurer si tel était vraiment le souhait de la DMK. Ce qui a été confirmé par l’émissaire. Et c’est suite à cela qu’il a écrit aux deux protagonistes de la crise. C’est le courrier adressé dans ce cadre à la DMK, à leur demande selon le compte-rendu de l’émissaire de Mgr, qui a été entre temps publié sur les réseaux sociaux. C’est donc dans l’attente d’amorce de cette facilitation que malheureusement le domicile de M. KODJO AGBEYOME a été attaqué en présence de son Excellence Mgr Philippe Fanoko KPODZRO. Au cri lancé cette nuit par ce dernier, Mgr BARRIGAH et d’autres membres du clergé étaient sortis mais l’accès au domicile de M. KODJO AGBEYOME leur a été refusé par les militaires. J’ai eu à rencontrer les personnalités qui ont demandé ce service à Mgr BARRIGAH, c’était le 02 janvier 2021. Ils reconnaissent qu’il y a eu effectivement à l’endroit de Mgr une telle démarche et qu’elle était consécutive à la il11e convocation de M. KODJO AGBEYOME à se présenter au SCRIC. Ainsi, selon eux, deux préoccupations majeures faisaient l’objet de cette démarche: – Solliciter Mgr à user de son pouvoir et sa capacité pour que l’arrestation de M. KODJO AGBEYOME soit évitée, vu que Son Excellence Mgr Philippe Fanoko KPODZRO était également à son domicile. – Faire un travail de rapprochement des deux positions politiques afin d’éviter l’affrontement et de trouver une sortie honorable pour chaque camp.
Tout ce que l’Eglise catholique, en général, a pu faire et Mgr BARRIGAH, en particulier, doit-il être mis sur la place publique ou sur les réseaux sociaux? L’Eglise est une Mère, sachons-le, elle ne peut ni tout dire ni répondre à tout. Elle assume plutôt la béatitude qui fait partie de l’enseignement de son Seigneur: « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. » (Mt 5, JJ).
A présent, je voudrais partager avec vous des éléments du Magistère sur le discernement à 1’heure où foisonne la manipulation sur les réseaux sociaux. En effet, Saint Paul nous a dit: « vérifiez tout. Ce qui est bon retenez-le» (I Th 5, 21). Le Pape François, lui, nous rappelle la nécessité impérieuse du discernement et dans Gaudete et exsultate, au n° 167, il écrit: «aujourd’hui, l’aptitude au discernement est redevenue particulièrement nécessaire. (…) Sans la sagesse du discernement, nous pouvons devenir facilement des marionnettes à la merci des tendances du moment. » Ce Pape, qui est régulièrement victime des fakes news et du social media, comme c’est le cas pour l’Eglise catholique aujourd’hui au Togo avec un acharnement contre Mgr BARRIGAH pour le «diaboliser », parle « d’agressivité sans pudeur» et d’ « information sans sagesse ». Ainsi, il écrit dans Fratelli tutti: « en même temps que les gens préservent leur isolement consumériste et commode, ils font le choix d’être de manière constante et fébrile en contact. Cela favorise le foisonnement de formes étranges d’agressivité, d’insultes, de mauvais traitements, de disqualifications, de violences verbales qui vont jusqu’à détruire l’image de l’autre, dans un déchaînement qui ne pourrait pas exister dans le contact physique sans que nous ne finissions par nous détruire tous. L’agressivité sociale trouve un espace d’amplification hors pair dans les appareils mobiles et les ordinateurs. (n044). Et il poursuit : «alors que le silence et l’écoute disparaissent, transformant tout en clics ou en messages rapides et anxieux, cette structure fondamentale d’une communication humaine sage est menacée. Un nouveau style de vie est créé où l’on construit ce qu’on veut avoir… Cette dynamique, de par sa logique intrinsèque, empêche la réflexion sereine qui pourrait nous conduire à une sagesse commune. » (n049).
C’est donc inexact et non fondé, suite à mes investigations, d’affirmer que c’est à la demande du Président de la République, Monsieur Faure GNASSINGBE, que Mgr BARRIGAH a contacté la DMK. C’est plutôt un membre de la DMK qui a pris l’initiative personnellement de rencontrer Mgr BARRIGAH pour le prier d’intervenir afin de rapprocher les positions et d’envisager une sortie honorable pour chaque camp, ce que Mgr BARRIGAH a fait de bonne foi pour l’intérêt général du pays. La personnalité de la DMK qui a rencontré Mgr BARRIGAH reconnaît avoir rendu compte de sa démarche, auprès de Mgr BARRIGAH, à M. KODJO AGBEYOME. Les autres personnalités du staff dirigeant de la DMK ont-ils été mis au courant d’une telle démarche ainsi que son Excellence Mgr KPODZRO ? Je n’en sais rien.
Je voudrais donc vous inviter à la prière, à la sérénité, au discernement et au travail nécessaire pour asseoir une véritable culture démocratique dans notre pays. Je désire, également, vous exhorter à persévérer fidèlement dans votre foi catholique et à continuer à faire confiance à vos pasteurs. Tout ce qui divise vient du diable car l’étymologie latine de « diabolos» veut dire « diviseur ou celui qui sème la zizanie ». A juste titre donc, saint Jean appelle satan «l’accusateur» dans Apocalypse 12,10 et lui donne le nom de «père du mensonge» dans son Evangile au chapitre 8 verset 44. Le même apôtre nous dit: « la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. » (l Jn 5,4). Avançons dans cette foi qui nous rend victorieux de toute situation existentielle complexe et difficile.
Paix et bien à vous tous dans le Seigneur. Triomphons du mal par notre capacité à faire le bien, à temps et à contre temps. Veillons à ce que tous nos « remparts » ne soient pas ébranlés et que tous nos leaders religieux ne soient diabolisés sans raison. Car, comme se le demande le Psalmiste, « quand sont ruinées les fondations, que peut faire le juste? »(Ps 10,3)
Recevez, bien-aimés en Jésus Christ, mes fraternelles salutations en Lui, Notre Seigneur et Sauveur, avec l’intercession puissante de la Vierge Marie, consolatrice des affligés et Mère de l’Eglise, ainsi que celle de Saint Joseph, patron universel de l’Eglise, à qui le Pape François a dédié cette année.
Père Pierre Marie Chanel AFFOGNON
Aumônier national des cadres catholiques du Togo
Directeur de l’enseignement catholique