Le capitaine Domato (capitaine des bois) est le nom donné, au Brésil, à des hommes dont l’occupation est d’aller à la recherche des noirs marron dont la fuite leur est signalée, et de s’en emparer. Les capitaines Domato sont toujours les hommes de couleur, mais libres. Ils forment entre eux une sorte de milice et on leur accorde 156 francs 25 centimes pour chaque fugitif qu’ils ramènent à leur maitre blanc. Cette somme est partagée entre eux. Le rôle du capitaine Domato a été mis en relief dans le téléfilm brésilien « Izaora » dans les années 1990. Plus qu’un simple acteur jouant une partition, c’est l’expression des rapports entre le maitre blanc et l’esclave affranchi que le blanc utilise pour martyriser ses frères de même couleur. L’histoire de la Françafrique est exactement calquée sur le modèle du capitaine Domato.
Plus de 60 ans après les indépendances et plusieurs siècles après l’abolition de l’esclavage, l’Afrique et surtout francophone dispose toujours de ces capitaines Domato, toujours prêts à accomplir, avec un zèle inouï, la volonté du maitre blanc, ou disons clairement, du colon. Fouet en main, parfois serti d’épines, le colosse n’hésite pas souvent à lacérer le dos de son frère noir plus que le maitre n’en demande. Après le sale boulot, il pourra, s’il a la chance, être invité à la résidence du maitre le 14 juillet, non sans avoir attendu pendant une ou deux heures, dans une queue sous le soleil. Il pourra enfin déguster une coupe de champagne et échanger avec d’autres capitaines Domato invités pour la circonstance.
Un triste « Vizir » pompeusement appelé ambassadeur de France a cru bon devoir porter plainte contre deux journaux de la place dont le crime est d’avoir révélé les relations incestueuses, pour ne pas dire les magouilles entre son pays et la plus vieille dictature d’Afrique. Une plainte confuse assortie d’injonction qui a immédiatement poussé les « nègres de maison », que dis-je, les Domato des tropiques, comme dans une fazenda, à sortir les fouets sertis d’épines pour punir sévèrement leurs frères en réponse à l’affront fait au maitre blanc. Audition sur audition, insultes sur insultes, puisqu’il fallait faire plaisir au colon et certains s’y sont mis à fond, vaines tentatives d’imposer une solution… Face à la résistance inattendue, les nègres de maison sont passés à la vitesse supérieure. Deux mois de suspension. Voilà ainsi traduite dans les faits la volonté du « Vizir » tropical.
En fait ce personnage au service du régime cinquantenaire s’était déjà ouvert à plusieurs personnes sur la ligne éditoriale de L’Alternative. Lorsque dans un premier temps ses propos ont été rapportés à savoir : « Ce journal est trop dur, trop critique envers le pouvoir », nous avions osé une série de questions à notre interlocuteur : « En quoi la ligne critique d’un journal envers le régime dérange un ambassadeur ? Est-il au service de la France, son pays, ou du régime togolais ? De quoi il se mêle ? Et pour quel intérêt ?». Le fameux « Vizir » n’a pu se retenir devant un journaliste de L’Alternative la haine qu’il éprouvait pour cet organe. Il en va de soi que les dernières révélations sur les arrangements obscurs de Franck Paris, Conseiller Afrique de l’Elysée (sur lesquels nous reviendrons) avec le régime monarchique de Lomé constituent une circonstance aggravante.
Il fallait sévir pour empêcher ce journal d’aller plus loin. Eh bien, c’est peine perdue. La France a assassiné au Togo le 13 janvier 1963 un chef d’Etat démocratiquement élu. Avons-nous déjà porté plainte contre elle ? La France continue de vendre des armes et du matériel (matraques, gaz et grenade lacrymogène, etc.) qui permettent au régime cinquantenaire de réprimer dans le sang les Togolais. Avons-nous déjà porté plainte contre la France ? Nous les Togolais, sommes plus que conscients du mal que la France a fait et continue de faire à ce pays. Le jour vient où tout sera remis à sa place.
Alors monsieur le « Vizir », ni votre animosité envers un média togolais, ni l’instrumentalisation ou le recours aux valets locaux ne vous permettront d’obtenir notre silence. Les capitaines Domato sous les tropiques, dont la plupart n’ont jamais écrit un article de presse connu ou investissent un seul franc dans une entreprise de presse ; peuvent s’activer pour vous rendre service, vous ramener sur un plateau d’or les têtes de ceux que vous détestez ; mais sachez une chose et une fois pour de bon : nous ne sommes pas de la bande de ceux qui crient « Yovo Yovo bonsoir », dans l’espoir de se voir jeter à la figure une tablette de chocolat.
Ferdi-Nando