De son indépendance, chaque peuple se doit de faire un usage qui ne l’assigne pas aux seules récriminations sur le fait colonial et le mal qui a lui été fait. Une conscience nationale se nourrit aussi des difficultés vécues et des échecs surmontés.
Madagascar, Liberia, bientôt la RDC, en attendant, début 2024, le Sénégal… Tandis qu’un sortant, battu, félicite, ici, le vainqueur, ailleurs, les principaux candidats dénoncent, en amont, des fraudes massives, et chaque présidentielle donne lieu à de perpétuels psychodrames. Comment expliquer une telle disparité du jeu électoral, en Afrique ?
En matière d’État de droit et de démocratie, la si belle terminologie « Afrique », pour être unique, n’en revêt pas moins des réalités multiples, tout en nuances. Même lorsque l’on croit avoir décelé les subtilités déterminantes des particularités propres à certaines nations, il faut toujours prendre garde aux jugements définitifs. Même si, à l’œil nu, on peut observer que la plupart des pays du continent où les élections débouchent systématiquement sur des contestations, voire de la violence, se recensent parmi ceux qui ont connu la même histoire coloniale, ou parlent la même langue.
Même si elles n’étaient qu’une malencontreuse coïncidence, ces réalités têtues, dénominateur commun aux cancres, mériteraient d’être prises en compte, plutôt que d’être ignorées avec dédain.
Esquissez donc une liste des récentes élections contestées, et même des putschs, en Afrique, et vous serez surpris – et ce ne serait pas qu’une illusion d’optique – par leur concentration, aujourd’hui, parmi les nations que l’on désigne d’ordinaire comme des anciennes colonies françaises, ou plus généralement des francophones, comme la RDC, ancienne colonie belge, francophone, où la précédente présidentielle a accouché de résultats plus que troublants. À moins d’un mois de l’échéance, une partie des Congolais craint de voir sortir du chapeau un chef d’État que n’auraient pas choisi les électeurs dans l’isoloir.
Il y a pourtant bien des contestations, ailleurs que dans les anciennes colonies françaises ou chez les francophones !
Bien entendu ! D’où la nécessité d’une certaine nuance. Par deux fois, au Sénégal, un président sortant, battu, a même su s’éclipser, en félicitant le vainqueur : Abdou Diouf, en l’an 2000, et Abdoulaye Wade, en 2012. De magnifiques exceptions à la règle !…
Tout comme on peut avoir le meilleur comme le pire, dans d’anciennes colonies britanniques. Comme les impressionnants exemples de Goodluck Jonathan, battu à la présidentielle de 2015, au Nigeria, après seulement un mandat, et qui s’en est allé, tout simplement, exactement comme John Dramani Mahama, battu dans des conditions identiques, en 2017, au Ghana. On oubliera, par contre, Raïla Odinga, qui n’a jamais vraiment accepté sa défaite face à William Ruto, l’an dernier, au Kenya. Voilà pourquoi nous ne parlons, ici, que de tendances générales, et de nuances…
Mais la corrélation entre l’histoire coloniale et l’ancrage démocratique n’est-elle pas une nouvelle pierre dans le jardin de la France ?
L’usage que chaque peuple fait de son indépendance est une réalité que l’on doit savoir, à un moment donné, dissocier du fait colonial. Dans la vie des êtres comme dans l’histoire des peuples, aucun dirigeant d’une nation, même amie, n’a à se soucier de vos intérêts au détriment de ceux de son propre peuple. En dépit d’une histoire coloniale douloureuse, certains États construisent le futur, sans se morfondre dans d’interminables récriminations.
Peut-être l’Afrique devrait-elle financer des recherches, pour que les universitaires analysent ce phénomène et esquissent une solution à la concentration de catégories de pays ayant la même histoire ou la même langue officielle, parmi les bonnes ou moins bonnes démocraties.
Après tout, durant trente ans, tous les peuples du continent ont à peu près commis les mêmes erreurs. En ont-ils tous tiré les leçons utiles ? Et si ceux qui nous semblent, aujourd’hui, plus enclins à la transparence électorale étaient ceux qui, au fil des difficultés et des échecs, ont su bâtir une conscience nationale, en payant, chaque fois, le prix qui convient ! Et, qui sait, le retard qu’accusent les autres, tient-il au fait d’avoir passé six décennies à attendre d’un tuteur parti, mais omniprésent, les interventions et coups de main, pour rattraper leurs fautes, couvrir leurs déficits, tout en se laissant bercer par la ruineuse mélodie de l’irresponsabilité !
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 25 novembre 2023