Le dossier d’atteinte-complot à la sûreté intérieure de l’Etat qui implose la fratrie Gnassingbé, notamment Kpatcha Gnassingbé et son demi-frère et Président de la République Faure, est loin de connaître son dénouement. Le combat politico-juridique fut long et les deux acteurs essoufflés semblent jouer à la résistance. Les barons et autres anciens collaborateurs eux, observent un silence assourdissant qui ne dit pas son nom. En cette ultime phase d’un dossier qui est plus une affaire de famille et d’intérêts légués par un défunt père qu’une affaire d’atteinte à la sûreté intérieure de l’ Etat, on se demande ce que feront les barons RPT-UNIR de la crédibilité qu’il leur reste dans la genèse de cette affaire qui doit troubler Eyadéma de son irréversible « sommeil ».
Après la justice des vainqueurs, les victimes du Kpatchagate ont transporté l’affaire devant la Cour de Justice de la CEDEAO. De report en report sur fond de manœuvres, l’affaire est jugée, et Awa Nana et ses juges semblaient prêts pour dire leur dernier mot sur cette scabreuse affaire le 21 février dernier. Mais, coup de théâtre, le délibéré sera reporté sine die dans un premier temps, avant que la date du 18 avril prochain ne soit retenue pour les besoins de la cause.
A la lecture de la loi, dans les dossiers où la torture s’est invitée, en cas d’appel, le seul verdict possible est l’annulation du procès et donc la libération des victimes. C’est cet argument universel qui fonde l’espoir de Kpatcha Gnassingbé et ses amis d’infortune. Mais si le camp des victimes compte sur la force de la loi pour tirer son épingle du jeu, celui des bourreaux compte sur le miracle de la corruption et du trafic d’influence d’une race de dirigeants de la sous-région.
En effet, ce qui a justifié le dernier report du délibéré alors qu’à la lecture du règlement intérieur de la Cour sous- régionale, un délibéré ne se reporte pas, c’est la volonté de faire dire le droit aux couleurs de l’Etat togolais qui souhaite que le verdict ressemble à tout sauf à une sommation de libération des détenus. Pour y parvenir, des millions de dollars ont été brandis aux juges. Si certains comme le juge ivoirien de la cour ont sauté sur cette « aubaine », d’autres ont esquivé, de quoi compliquer une situation déjà tendue. Dos au mur, les dirigeants togolais ont eu recours au président Allassane Ouattara de la Côte d’Ivoire.
En effet, suite à l’extradition rocambolesque de l’ancien ministre de Laurent Gbagbo, Moïse Lida Kouassi, vers la Lagune Ebrié, et au retour de l’ascenseur par l’extradition du Français Le Floch-Prigent vers Lomé, les deux pays pour ne pas dire les deux présidents se sont lancés dans une coopération judiciaire. C’est donc en toute logique qu’on tente de solliciter l’actuel président en exercice de la CEDEAO pour influencer le délibéré de la Cour prévu le 18 avril prochain. Le Togo étant un pays atypique, unique en son genre, habitué à forcer le passage contre toutes les logiques, l’objectif de Faure et ses conseillers est d’imposer l’impossible à la Cour communautaire.
L’impossible dans cette histoire est de faire prononcer à la Cour un verdict plus clément, qui condamne l’Etat togolais à des amendes et donc à dédommager les victimes sans leur libération. Drôle de dédommagement, à moins d’être aveuglé par les règlements de comptes, le plus idiot sous les firmaments sait que pour quelqu’un qui est privé de sa liberté et envers qui on reconnaît, à un moment donné une injustice, la première pierre d’un dédommagement est sa libération, le reste vient après. Le contraire n’est pas possible, car si pour une raison ou pour une autre, un citoyen est détenu dans un espace clos, c’est pour qu’il ne jouisse pas de sa liberté. Mais à quoi servira donc un dédommagement pour quelqu’un qui est encore derrière les grilles ? L’impossible débat s’ouvre au Togo.
L’autre aspect est qu’une éventuelle implication d’Allassane Ouattara avec sa diplomatie de façade dans cette affaire pour faire passer l’impossible ne vient que de commencer, et l’on se demande jusqu’où il a l’intention d’aller. Toutefois, s’il est vrai que le comportement d’un président qui ne lésine sur aucun moyen pour assainir la Justice dans son pays pendant qu’il se rend coupable de trafic d’influence sous- régionale pour tordre le cou aux textes internationaux surprend, il ne surprend pas moins que le dernier carré de feu Eyadéma: Fambaré Natchaba, Barry M. Barqué, Amégbor, Assouma Aboudou, Frititi Vouley, Louis Amégah, les anciens Premiers ministres Kwassi Klutsè et Koffi Sama, sans oublier les généraux Bonfoh, Pissang, Nandja Zakari, Séyi Mémène, Zoumaro Gnofam, Béréna. Face à leur silence, on peut déduire qu’il y a eu des tentatives de conciliation échouées face à la déconfiture grandissante entre les fils de celui qu’ils ont servi d’une façon quasiment cultuelle. Si on peut relever des tentatives isolées, cela ne justifie tout de même pas cette démission qui a contribué à gangréner ce différend.
Du vivant d’Eyadéma, bref, au moins six ans avant sa mort, affaibli par une maladie qui se manifestait par les effets dévastateurs dans la gestion de l’Etat, ce cercle de proches faisait partie de ceux qui dirigeaient le pays. Eyadéma s’en est allé, et s’il a laissé un héritage matériel difficile à évaluer et donc à gérer, il a aussi laissé un capital humain gangréné par l’absence de cohésion. Dans un Etat normal, la plupart de ces messieurs peuvent être considérés comme des parrains aux rejetons Gnassingbé. Mais que font-ils actuellement pendant que le Kpatchagate ternit l’image du pays et implose ce que certains appellent la grande famille ? Combien d’entre eux ont-ils eu le courage de dire à Faure qu’après sa présidence, il reviendra à la famille pour le reste de ses jours, qu’il a des enfants et que Kpatcha et les autres ont aussi des enfants qui sont liés par un patronyme commun?
Nous avons vu des tentatives de rapprochements concrets dans la fameuse affaire d’escroquerie avec l’intervention de Mgr Barrigah. Le Kpatchagate est-il un dossier tabou pour que les barons évitent de tenter un rapprochement entre les deux rejetons de la famille qui mettent le pays à mal? Jusqu’où veulent-ils démissionner devant ces déchirements ? A supposer qu’Eyadéma ait passé la main à Faure de son vivant et que le même scénario se produise devant lui, cette affaire pouvait-elle aller à la CEDEAO ? Ensemble ce beau monde ne peut-il pas jouer un rôle moral pour sauver ce qui peut encore l’être en l’absence de leur ancien maître ?
Tout porte à croire qu’à défaut de lui retirer le pouvoir de son vivant, les barons se sont arrangés à l’aider à le laisser à des incapables qu’on sait assez divisés pour tenir longtemps. La politique ne se fait pas sans une dose suffisante de cynisme, dit-on souvent. En attendant que les gens observent un silence lâche et coupable, avec ou sans les barons, Bodjona Pascal lui, s’est débattu. Il vient de recouvrer sa liberté, mais Kpatcha continue pour sa part à porter seul une croix apparemment plus lourde que celle de l’ex ministre « grand format ».
La libération de Bodjona saluée de toute part peut-elle servir à accélérer une solution avec le Kpatchagate ? Question pour les barons qui ont l’intention de regarder ce problème se régler sans eux ou empirer. En attendant une hypothétique redéfinition des cartes, les Togolais attendent le 18 avril pour voir par quelle alchimie la Cour de la CEDEAO pourra garder sa crédibilité en prononçant un verdict ordonnant le dédommagement des victimes pendant qu’elles sont encore gardées derrière les barreaux.
Mensah K.
L’Alternance Togo