Assassiné il y a tout juste 25 ans, le capitaine Thomas Sankara aimait reprendre à son compte cette phrase – que beaucoup lui attribuent : « On peut tuer un homme mais pas ses idées ». Les jeunes Burkinabè ont reçu le message cinq sur cinq…
15 octobre 1987-15 octobre 2012 : voici 25 ans que Thomas Sankara, président du Burkina Faso a été assassiné ; 25 ans, c’est aussi la moyenne d’âge de la génération de Burkinabè qui n’a connu que le régime de Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir en enjambant le cadavre de son compagnon révolutionnaire. Et si la jeunesse a toutes raisons d’ignorer le souvenir de Sankara, c’est l’inverse qui se produit. Plus que jamais, elle entretient le souvenir du capitaine comme si elle avait vécu à son époque.
« La jeunesse s’est approprié le personnage et en a fait son héros. Plus Compaoré restera au pouvoir et plus le mythe va grandir parce que les gens sentent bien que cela est lié », analyse le rappeur Serge Martin Bambara, alias Smockey, qui a dédié plusieurs de ses textes à « Thom Sank ». Depuis plusieurs années, connu pour son activisme, il mène des initiatives citoyennes à travers tout le pays. À Ouagadougou, il organise des « thés-débats » avec les jeunes. Parfois, Sankara en est le thème central.
« Quand on discute avec eux, on constate que le sujet revient de plus en plus souvent, les tabous se brisent, ajoute l’artiste. Il y a une soif de connaissance de l’individu. Une grande partie de la jeunesse se revendique de son discours et s’identifie à lui. » Pourtant, les jeunes étaient à peine nés, pour la plupart, durant des chaudes heures du Conseil national de la révolution (CNR). Sankara, ils en ont entendu parler par leurs parents et aînés, témoins de l’aventure révolutionnaire.
Bilan positif
Né en 1971, Smockey, lui, a vécu la période du CNR. Et il peut témoigner qu’elle n’a pas fait que des heureux. Son père a été victime des Tribunaux populaires de la révolution. Pendant plus d’un an, il devait lui porter à manger en prison. Mais avec le recul, il estime que le bilan du leader révolutionnaire, tout bien pesé, reste positif et il en reste un fervent admirateur.
Car les années 83-87 n’ont pas été de tout repos pour les Burkinabè. La révolution exigeait beaucoup de leur part. On suppose même parfois que Sankara aurait inéluctablement finit par se tourner vers une forme plus dure de gouvernance avec le temps. Ceux qui avancent cette hypothèse estiment qu’il n’aurait pas le choix face à l’adversité et aux menaces qui pesaient sur son régime.
Physiquement il est n’est plus, mais spirituellement, il restera un guide pour nous.
Sams’k Le Jah, chanteur de reggae burkinabè
Difficile à croire, pour d’autres, qui voient en lui l’incarnation du démocrate le plus accompli. Dans les derniers temps précédant son assassinat, constatant le décalage entre son empressement révolutionnaire et un peuple essoufflé, n’avait-il pas déclaré : « Je préfère faire un pas avec le peuple, que cent pas sans le peuple » ? Typiquement le genre de phrases-chocs qui séduisent la nouvelle génération.
Loin de jeter le discrédit sur l’ancien régime militaire, elles entretiennent « une certaine nostalgie de l’action révolutionnaire », estime le reggaeman burkinabè Sams’k Le Jah, Sama Karim de son vrai nom. Depuis 3 ans, le chanteur a initié le « Thomas Sankara Revival ». Il a lieu tous les 21 décembre (date anniversaire de la naissance de Sankara, en 1949). « Physiquement il est n’est plus, mais spirituellement, il restera un guide pour nous », explique Sams’k Le Jah.
Sur les réseaux sociaux
Au Centre national de presse Norbert Zongo, qui abrite la rencontre, des collaborateurs de l’ancien président du Faso sont invités à parler de ce temps perdu. À chaque édition, l’événement fait salle comble. Les jeunes accourent et repartent bouleversés par ce qu’ils ont entendu. L’intervenant le plus récent n’était autre que Boukary Kaboré, dit « le lion », un inconditionnel de Sankara qui mena une résistance féroce à Koudougou (50 km de Ouagadougou) en entendant la nouvelle de l’assassinat de son chef, avant de s’enfuir au Ghana. « Au terme de son récit, beaucoup de jeunes sont repartis avec des larmes », raconte Sams’k Le Jah.
Avec Smockey, il participe également chaque année à Ciné Droit Libre, festival de films autour de la thématique des droits humains et de la liberté d’expression qui se tient à Ouagadougou. Le reggaeman assure que lorsqu’un film sur le capitaine fait partie de la programmation, même aux heures les plus tardives de la nuit, les jeunes prennent leur mal en patience comme s’ils n’étaient venus que pour cela.
Autre lieu de diffusion de la vie et l’œuvre du révolutionnaire : les sites de partage de vidéos et les réseaux sociaux, qui ont permis une redécouverte du leader. Un site Internet, notamment, www.thomassankara.net, compile toute la documentation qui le concerne. À présent, les discours de Sankara sont connus : celui sur la dette à Addis-Abeba ou celui à la tribune des Nations Unies, par exemple, ont inspiré nombre d’artistes.
« Quand on lit tout ce qui est écrit, quand on entend tout ce qui se dit sur lui, on ne peut que révérer le personnage. Au moins 80 % des jeunes de 18 à 30 ans, portent Sankara dans leur cœur », estime Armand Bayala, artiste-comédien et monteur vidéo d’une trentaine d’années qui a participé, en tant que cadreur, au tournage du film documentaire Sankara dans mes rimes (Baoui Ziba, 2009).
« Sankara mania » sans frontières
Le court-métrage fait intervenir des artistes s’inspirant de Sankara dans leurs compositions musicales. Parmi eux, la star sénégalaise du hip hop, Didier Awadi. À Dakar, celui-ci a même choisi de baptiser son studio d’après le nom du président burkinabè. Car la « Sankara mania » dépasse les frontières du Burkina Faso.
Elle serait même plus forte, car plus libre à l’extérieur. « C’est un phénomène qui a plus d’ampleur hors de nos frontières », remarque Smockey, le rappeur. « Congo, Sénégal, Ghana, Mali… La jeunesse est en quête d’un héros pour remplacer Sankara, mais elle n’a pas encore fait son deuil. Il y a eu la génération Cheikh Anta Diop, et avant cela la génération Nkrumah et Lumumba, aujourd’hui, la nouvelle génération porte le nom de Thomas Sankara. »
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