Les soubresauts de la communication au Togo
On pensait qu’avec sa jeunesse, ses bagages intellectuels et sa connaissance des Technologies de l’information et de la communication (TIC), elle allait révolutionner la communication au Togo et hisser le pays dans le peloton de tête en Afrique, technologiquement parlant. Mais hormis des distinctions dont on ignore les bases de sélection, elle se distingue plus dans la rhétorique que dans ses choix et actions en faveur d’un meilleur devenir de la communication au Togo. Elle, c’est Cina Lawson, que le site gouvernemental a qualifié de « tête bien faite ». Les abonnés à la téléphonie et à l’internet attendent toujours de la juger sur pièce.
Pour avoir une idée des termes dithyrambiques dont on use pour « qualifier » l’actuelle ministre de l’Economie numérique, il suffit de se rendre sur republicoftogo.com, le site du gouvernement. « Mme Lawson est ce qu’on appelle une tête bien faite. Diplômée de sciences Po à Paris et d’Harvard (Kennedy School), elle a fait ses classes chez Alcatel-Lucent et chez Orange à New York. Les TIC n’ont pour elle presque plus aucun secret », et que sais-je encore. En 2012 et 2013, Cina Lawson a été nominée deux fois successives. D’abord en 2012 par le World Economic Forum (WEF) comme « Jeune leader mondial » et figurant parmi les 20 jeunes femmes les plus puissantes d’Afrique par le magazine américain Forbes. Ensuite en 2013 par l’hebdomadaire ‘‘Jeune Afrique’’ qui l’a classée parmi les « 25 femmes les plus influentes du business et de la politique en Afrique francophone ». Au vu du débit inégalé –euphémisme oblige- de la vitesse de connexion au Togo et par rapport aux distinctions reçues, il nous a paru citoyen de revenir sur le parcours et de dresser « les succès » de Cina Lawson qui lui ont valu tant d’honneur.
C’était en juin 2010, par un remaniement ministériel dont Faure Gnassingbé a le secret, que Cina Lawson – nous omettons la civilité de madame pour non-visite à la mairie- a été parachutée à la tête du ministère des Postes et Télécommunications d’alors. « Cina Lawson a un CV impressionnant. Sciences Po Paris et Master de la Kennedy School of Government (Harvard) », lit-on toujours sur le site du gouvernement. Sa jeunesse, son « parcours » et son maniement de la langue de Molière pouvaient faire pâlir d’envie les informaticiens chevronnés résidant sur le continent noir. Mais un proverbe ne dit-il pas que c’est à l’œuvre qu’on reconnaît l’artisan ?
La première roulade des autres ministres et du peuple par Cina Lawson dans la farine a eu lieu en conseil des ministres en mars 2012. Ce jour, la diplômée de Sciences Po et de Harvard baratina tout le monde avec une histoire à dormir debout, connaissant la situation technologique du pays : des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (full MVNO). Dans un langage bizarroïde pour les autres ministres, Cina Lawson a réussi à les embobiner à tel point que près de 7 mois plus tard, le gouvernement a lancé un appel N°0379/MPT/CAB/12 à manifestations d’intérêt qui devrait être suivi d’un appel d’offres restreint en vue d’accorder des licences d’opérateur de réseau mobile et dont la date de clôture était fixée au 16 novembre 2012. Ce que beaucoup de Togolais ignorent. Qu’en a-t-il été de cet appel ? Un communiqué gouvernemental a même été rendu public en date du 15 novembre pour proroger la date de clôture. « …Suite à la demande de report de plusieurs candidats, le Ministère des Postes et Télécommunications informe les soumissionnaires que la date limite de dépôt des offres initialement prévue au vendredi 16 novembre 2012 à 15H30 est reportée au vendredi 30 novembre 2012 à 15H30 GMT ». Mais plus personne n’en a jamais parlé puisque le projet a connu un flop mémorable. La preuve en est qu’à ce jour, il est resté à l’étape virtuelle. Et pourtant, l’initiatrice a été nominée. Reste à savoir les critères ayant sous-tendu son choix.
En septembre 2013, un forum national sur la gouvernance de l’internet s’est ouvert à Lomé avec la participation de l’ART&P et du ministère des Postes et Télécommunications. Entre autres thèmes développés, « l’internet au service du développement socio-économique du Togo » ou encore « l’accès au haut débit ». Il est démontré que l’internet ne peut profiter au développement d’un pays en étant créateur d’emplois que lorsque le débit de connexion avoisine les…8 Mbps/abonné. Mais au Togo, l’opérateur principal qu’est Togotelecom continue de fournir des débits de 256 Kbps à un prix de 34.685 FCFA, alors que de l’autre côté de la frontière au Ghana, un pays émergent, le minimum offert en matière d’internet, est de 2 Mbps au prix de 13.000 FCFA. L’essor économique de ce pays n’est nullement usurpé et si, comme le claironnent les autorités, l’objectif à terme est de faire du Togo un pays émergent, le couple Hausse de bande passante/Baisse des tarifs devra aussi s’inscrire dans le vécu des citoyens.
Deux mois plus tard en novembre 2013, la Banque Mondiale a encore accordé un prêt de 30 millions de dollars, soit l’équivalent de 15 milliards de FCFA au Togo. Le site du gouvernement –toujours lui- ânonnait que « Ce projet va permettre de rendre plus performante la connexion à internet. Une bande passante plus large, donc plus rapide, et à moindre coût ». La ministre n’a pas encore fait de sortie médiatique pour renseigner les citoyens sur les démarches que son ministère entreprend dans le sens de l’augmentation de la bande passante disponible actuellement.
Il nous revient que le 30 avril dernier, un premier projet de décret portant sur la loi sur les communications électroniques a été adopté et que la réforme serait portée par Cina Lawson. Doit-on comprendre par là que le marché de la téléphonie mobile qui a été longtemps interdit à la société Orange depuis qu’elle est en poste, sera désormais ouvert à d’autres opérateurs ? Le peuple attend de voir. A la veille de la journée internationale de l’internet, la ministre a reconnu en des termes voilés l’absence du haut débit au Togo. Elle appelle (enfin) à la libéralisation du haut débit. « Les infrastructures de télécom apportent beaucoup pour le développement de l’économie. La réflexion vise à voir comment nos infrastructures numériques peuvent contribuer efficacement au développement de notre pays. A partir de là, il s’agit de réfléchir aux potentialités, aux difficultés rencontrées, aux mesures concrètes qu’il faut prendre pour en arriver là », a-t-elle révélé. A en croire republicoftogo.com, « Cina Lawson a indiqué qu’il est désormais nécessaire qu’il y ait au Togo de l’internet haut débit pour que les gens puissent contribuer au développement. Pour elle, l’Internet haut débit est un outil qui doit servir aux entreprises, aux grandes écoles, aux particuliers et aux services du développement ». Et pourtant, que de fois la ministre et les sociétés qui relèvent de son ministère n’ont-ils grugé les abonnés sur l’existence du haut débit au Togo ! Lorsqu’on sait qu’il faut en moyenne des débits de 8 Mbps pour impulser le développement économique, on peut dire : « Mieux vaut tard que jamais ». Encore une fois, c’est à cette ministre qui a longtemps menti aux populations sur le haut débit, que des distinctions ont été attribuées. Et si les critères de sélection étaient portés à l’attention du grand public ?!
Mais au-delà de toute considération, il nous paraît surprenant que c’est à quelques encablures d’échéances cruciales que la ministre qui a longtemps brillé par son mutisme dans le domaine de l’amélioration de la bande passante, sort de sa léthargie ou de sa torpeur pour parler libéralisation d’internet, surtout que la décision d’augmenter la bande passante relève, à en croire des experts d’IpnetExperts, d’une décision politique. Le village numérique que l’ART&P organise samedi prochain à Kovié-Tové pour amener les télécommunications auprès des populations rurales risque de prendre des allures de campagne, étant entendu que pour parler de libéralisation, il faut d’abord parler d’augmentation de la bande passante, chose à laquelle les autorités et Cina Lawson ne se sont pas encore arrimées.
Abbé Faria