Une controverse révélatrice de l’obsolescence des textes régissant nos universités
La récente polémique autour de la nomination d’un directeur de cabinet à l’Université de Lomé par le Professeur Kossivi Hounake soulève une question juridique fondamentale : le président d’une université publique dispose-t-il du pouvoir d’organiser son propre cabinet ? Au-delà des positions tranchées, une analyse approfondie des textes et des usages plaide largement en faveur du Président de l’Université de Lomé.
Un vide juridique évident
La loi de 1997 régissant les universités togolaises établit une distinction claire mais incomplète. L’article 72 attribue au ministre de tutelle la compétence de nommer les directeurs des services de l’administration centrale (DRH, DAAS, etc.). L’article 73, quant à lui, confère au président d’université le pouvoir de nommer les responsables des services administratifs de la présidence (secrétariat, service comptable, etc.).
Mais voilà le nœud du problème : aucun de ces textes ne traite explicitement de la question du cabinet présidentiel. Faut-il considérer le cabinet comme faisant partie de l’administration centrale, relevant ainsi de l’article 72 ? Ou doit-il être regardé comme un service de la présidence au sens de l’article 73 ? C’est précisément dans ce silence des textes que se situe l’équivoque.
La force de l’usage institutionnel
Face à cette ambiguïté juridique, l’usage institutionnel constitue un argument de poids. À l’exception notable du Professeur Kpodar qui avait supprimé ce poste à sa nomination, tous les présidents d’université récents ont disposé d’un chef ou directeur de cabinet. Cette pratique, établie depuis plusieurs années, témoigne d’une nécessité fonctionnelle reconnue par l’ensemble des acteurs universitaires.
Plus révélateur encore : le poste existe depuis 2016, et aucun ministre de l’Éducation nationale n’a jugé bon de soulever la moindre objection jusqu’à présent. Ce silence prolongé de la tutelle pendant près d’une décennie équivaut à une acceptation tacite de cette organisation. Comment expliquer qu’une pratique tolérée pendant neuf ans devienne soudainement problématique ?
Une autonomie universitaire à préserver
L’autonomie des universités, bien que soumise à un cadre réglementaire, ne saurait être vidée de sa substance. Un président d’université porte des responsabilités considérables : pilotage stratégique, gestion administrative et financière, représentation institutionnelle. Il paraît logique qu’il puisse s’entourer d’une équipe rapprochée pour l’assister dans ces missions complexes.
Le cabinet présidentiel, par sa nature même, se distingue des services administratifs classiques. Il constitue un organe de conseil, de coordination et d’aide à la décision directement rattaché au président. À ce titre, il s’apparente davantage aux services de la présidence visés par l’article 73 qu’aux directions centrales mentionnées à l’article 72.
Des textes dépassés par la réalité
Cette controverse met en lumière un problème plus profond : l’obsolescence manifeste des textes régissant nos universités. Rédigés il y a près de trois décennies, ils ne reflètent plus les réalités et les besoins actuels des établissements d’enseignement supérieur. Les conflits de compétences récurrents entre présidents d’université et ministère de tutelle ne sont que les symptômes de ce décalage.
Plutôt que de s’enfermer dans des interprétations rigides de textes incomplets, ne serait-il pas plus judicieux d’engager une réforme d’ensemble du cadre juridique universitaire ? Une clarification législative permettrait de mettre fin à ces querelles stériles et de définir précisément les contours de l’autonomie universitaire.
Une affaire aux contours flous
L’intervention ministérielle soulève également des questions sur son timing et ses motivations réelles. Pourquoi cette réaction soudaine après des années de tolérance ? La personne nommée au poste de directeur de cabinet, Kodjo Sosoe Kodjo, a d’ailleurs déjà pris service. Cette affaire cache manifestement des non-dits qui dépassent le simple cadre juridique.
Au regard de l’analyse des textes, de la force de l’usage et des nécessités fonctionnelles, le Président de l’Université de Lomé apparaît fondé dans sa démarche. En l’absence de disposition explicite interdisant l’organisation d’un cabinet présidentiel, et compte tenu de la pratique établie depuis 2016, la nomination d’un directeur de cabinet relève légitimement de sa compétence d’organisation des services de la présidence.
Cette affaire appelle moins à un rappel à l’ordre qu’à une modernisation urgente du cadre législatif universitaire. Car en réalité, ce n’est pas le Président Hounake qui pose problème, ce sont nos textes qui ne sont plus en cohérence avec les réalités évidentes de la gouvernance universitaire contemporaine.














