P. Essosimna, manœuvre au magasin, cheville gauche fracturé suite à l’éboulement de sacs de matière première mal entreposés, A. Komla, machiniste, un doigt sectionné par une machine à la section sacherie, N. Bruno, machiniste, trois doigts de sa main droite perdus lors du recyclage des déchets plastiques à la section sacherie, M. Nadège, machiniste, 4 doigts de sa main gauche sectionnés à la section sacherie, K. Kodjo, deux doigts broyés par une machine à la section sacs et K. Lélénwè, trois doigts sectionnés par une machine à la section injection. Faisons une immersion dans une usine détenue par des Libanais à Gbatopé dans la préfecture de Zio, et qui prend lentement la vie des ouvriers togolais.

Gbatopé, localité située à 41,5 km de la capitale togolaise et à 6,7 km de la ville de Tsévié, chef-lieu de la région Maritime, est secoué ces derniers jours par la situation des employés de la Société nouvelle industrie (SNI), anciennement Nouvelle société de transformation de produits plastiques (NSTPP) que des Libanais, Taleb Mazeh, Abdallah Nemer et Al Nasser Mahdi ont installée dans la zone.
Ces trois individus sulfureux font vivre le calvaire aux ouvriers togolais dans cette usine qui fait dans la fabrication des sachets plastiques non biodégradables, articles de ménage en plastique, sacs tissés pour l’emballage de céréales, sacs de ciment, savon de ménage.
On a tous suivi le débrayage des ouvriers de cette usine à Gbatopé la semaine dernière sur les réseaux sociaux. Certaines vidéos ont été publiées sur les plateformes digitales du journal L’Alternative en début de cette semaine. Mais la Rédaction est allée en profondeur dans les recherches pour savoir beaucoup plus sur cette société, ses responsables, ses rapports avec le fisc, la situation des employés, etc.
Qui sont ces Libanais « qui se croient tout permis » au Togo ?
Taleb Mazeh est le PDG de la Société nouvelle industrie (SNI). C’est lui le colon qui croit détenir le droit de vie ou de mort sur les employés de la société et qui, par des méthodes frauduleuses dont lui seul a les secrets, échappe au fisc et autres contrôles des autorités compétentes de la préfecture de Zio.
Arrivé au Togo en 2011 avec un passeport gambien, bien qu’étant un Libanais, Taleb Mazeh a d’abord créé avec ses frères la Société de transformation de plastiques (STP) dans la zone portuaire. Une société qui produit des articles de ménage en plastique (seaux, bassines, gobelets, poubelles, gourdes, chaises, etc.) ainsi que des sacs plastiques non biodégradables en violation de la loi sur l’interdiction des sachets plastiques de 2011 au Togo.
Il a ensuite créé STP NATTES qui fabrique des nattes tissées en plastique, puis Mousse Confort qui fabrique des matelas en mousse.
Taleb Mazeh a, plus tard, acheté plusieurs hectares de terrain à Gbatopé pour créer la Nouvelle société de transformation de produits plastiques (NSTPP) dont il a ensuite changé le nom en Société nouvelle industrie (SNI), après plusieurs dénonciations pour mauvais traitements des ouvriers, fraudes fiscales et autres.
SNI fabrique sachets plastiques non biodégradables, articles de ménage en plastique, sacs tissés pour l’emballage de céréales, sacs de ciment, savon de ménage. Selon nos enquêtes, à fin décembre 2023, la société avait un effectif de près de 1200 employés non déclarés à la CNSS, sans contrat de travail.
Selon nos documentations, le sieur Mazeh a aussi pris un grand domaine à Kpomé où il a érigé une grande usine nommée FOMA qui fabrique des matelas, des tuyaux PCV, des tubes orange, des sacs de ciment. A Dzagblé, Tsikplonou Kondji et d’autres banlieues de Lomé, il est en train d’installer d’autres projets pareils.
Accointance avec certains barons du régime et mauvais traitements dans les usines
Les conditions de travail des employés sont identiques dans toutes ces usines installées çà et là par ce sulfureux individu. « Ses sociétés font partie de celles où il existe les pires conditions de travail en zone franche », nous explique un ouvrier qui a requis l’anonymat.
« Grâce à la fraude douanière et fiscale et au blanchiment d’argent commis avec l’appui de plusieurs autorités, il a amassé d’énormes capitaux à n’en point finir qu’il investit partout au Togo, en Gambie et récemment au Burkina », ajoute-t-il.
Taleb Mazeh s’en sort parce qu’il a au sein du régime et parmi les responsables de l’Office togolais des recettes (OTR) des amitiés qui lui ouvrent les portes et ferment les yeux sur ces fraudes répétitives qui créent parfois des conflits entre ses sociétés et certains agents de la douane et des impôts.
Pendant qu’il maintient les employés dans une précarité inédite, lui-même continue de s’offrir de vastes domaines à Aveta et ailleurs pour des projets immobiliers et une carrière de granulats pour produire des graviers pour ses chantiers.
Au sein de l’usine SNI à Gbatopé, son compatriote Nasser Abdallah que les employés ont surnommé « Yésuvi », règne en potentat et fait peur à tout le monde. Abdallah profite des liens familiaux dont il se prévaut avec Taleb Mazeh pour installer des conditions déshumanisantes dans l’usine et réduire les employés en esclaves.

Exaspérés par ces conditions, les ouvriers ont dû faire un débrayage la semaine dernière pour se faire entendre. Ils ont organisé une manifestation devant les locaux de la SNI de Gbatopé pour réclamer l’amélioration des conditions de travail.
« 5 ans sans contrat, pas d’heure de pause pour manger, on nous interdit même de rentrer avec la nourriture, pas de déclaration à la caisse. Les week-ends ne sont pas signés comme heures supplémentaires. On souffre trop dans la main des Libanais », nous confie un ouvrier en colère.
Après ces mouvements d’humeur des employés, les Libanais ont procédé à « la fermeture momentanée de son site jusqu’à résolution effective et pour la sécurité des biens et des personnes », selon la note affichée par les responsables à l’entrée de l’usine.
Des autorités constatent que la société n’est pas conforme à la loi
Les conditions difficiles de travail des ouvriers à la SNI étaient parvenues aux autorités de la localité qui ont saisi le ministère du Travail.
Rapidement, une délégation composée du Préfet de Zio, du commandant de compagnie de la gendarmerie, le Commandant de Brigade (CB) de la ville et le directeur régional du travail accompagné de deux collaborateurs et deux agents de la mairie ont fait le déplacement de l’usine pour constater les faits et élaborer une feuille de route visant à régler définitivement les cas de non-conformité à la loi relevés à la NSTPP.
Mais un incident s’est produit au portail de l’usine où l’agent de sécurité n’a voulu laisser entrer le Préfet et sa délégation que sur ordre de sa hiérarchie. La situation s’est finalement décantée et la délégation a pu rentrer dans l’enceinte de l’usine.
Les échanges, selon un rapport dressé par la commission mise en place, ont porté sur les derniers cas d’accident de travail et les conditions dans lesquelles les victimes ont été prises en charge, le versement de leur allocation d’incapacité temporaire et leur reprise du travail après consolidation de leurs blessures.

« Dans son intervention, le chef d’usine déclare que la société avait pris en charge toutes les ordonnances médicales et payé aux victimes les jours non travaillés pour cause d’accident. Il a également ajouté que deux victimes ont affirmé ne plus vouloir travailler à la NSTPP », indique le rapport consulté par L’Alternative.
Une autre rencontre s’est tenue à la préfecture le mardi 26 septembre 2023 avec la direction de la société, en présence de tous les travailleurs victimes d’accident de travail et, cette fois-ci la CNSS et la direction régionale du commerce étaient également présentes.
Après avoir écouté les victimes de ces accidents qui se sont produits dans l’usine, il ressort que leur prise en charge n’a pas été adéquate. Un employé cité par le rapport souffre encore de ses blessures.
« En effet, le refus de l’employeur d’honorer la facture pro forma de l’hôpital de Tsévié a contraint sa famille à faire recours aux services d’un tradi-thérapeute à Kpalimé dont les frais des soins ont été remboursés par l’employeur à la victime. En dépit de ce traitement, la victime se plaint toujours de douleurs à la cheville. Concernant ses allocations d’incapacité temporaire, elles ne sont toujours pas payées », souligne le rapport de la commission.
Plusieurs employés n’ont pas été déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et ne disposent non plus de contrat de travail. Le directeur régional du travail a indiqué que l’écrit est obligatoire seulement pour les contrats de travail à durée déterminée. Et, en l’absence d’écrit, on est en présence d’un contrat de travail à durée indéterminée. Toutefois, il a précisé que l’écrit est recommandé car cela protège mieux les parties.
« Le directeur régional du travail a, par ailleurs, relevé qu’au-delà des questions d’immatriculation des travailleurs à la CNSS, il y a aussi le problème des conditions de travail difficiles dans la société évoqués par les employés, en l’occurrence les horaires de travail, l’absence de certains documents administratifs (règlement intérieur, registre de l’employeur, …) et la non installation de certaines institutions (délégués du personnel, service sécurité santé au travail, comité sécurité et santé au travail, etc.) nécessaires à la bonne marche de la société, la méconnaissance des textes par la majorité des travailleurs qui ne sont qu’à leur première expérience », révèle le rapport.
La direction régionale du travail a été donc priée d’amener la société à se conformer à la réglementation nationale en matière de travail. Il s’agit notamment des visites d’inspections suivies de lettres d’observations, de mises en demeure et même de transaction qui n’ont pas été prises en compte par la société.
« A son tour, le directeur régional du commerce a d’abord rappelé le déplacement qu’il a effectué en compagnie de la DG de l’industrie sur instruction du ministre en charge du commerce d’alors. Il a révélé que, par la suite, son service a effectué des contrôles des documents administratifs qui étaient inexistants. Répondant à une convocation adressée aux responsables de la société, une délégation de la NSTPP a été reçue à la direction régionale du commerce pour discussion. En marge de cette assise, force est de constater que les recommandations qui ont été faites aux responsables de l’usine n’ont pas trouvé de solutions jusqu’à ce jour. Il s’agissait entre autres du certificat de production des sachets plastiques biodégradables, de l’agrément pour la production des sachets plastiques biodégradables et la confection et la pose d’une enseigne à l’entrée de l’usine », renseigne le document.

La société libanaise qui ne respecte aucune loi
La NSTPP devenue SNI viole plusieurs dispositions liées à la loi du travail au Togo, selon le constat de la commission mise en place pour enquêter dans l’usine.
L’entreprise n’est pas déclarée à la Direction régionale du travail et des lois sociales-Maritime conformément à l’article 256 du code du travail togolais, les travailleurs étrangers ne disposent pas de l’autorisation d’embauche ni de contrats visés par le directeur général du travail conformément aux articles 52 et suivants du code du travail, le règlement intérieur de la société est surchargé et n’a pas suivi la procédure de sa mise en place, etc.
Sur le plan social, tous les travailleurs ne sont pas déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), ce qui n’est pas conforme aux dispositions de l’article 3 du code de sécurité sociale et celles de l’article 210 du code du travail, l’inexistence d’une assurance maladie pour les travailleurs ce qui est contraire aux dispositions de l’article 230 du code du travail, les soins de tradithérapie prodigués à certaines victimes ne sont pas adaptés, l’ignorance par les travailleurs des mécanismes de prise en charge d’accidents de travail.
Concerne la sécurité et la santé, les travailleurs ne disposent pas d’équipements de protection individuelle adaptés notamment les tenues de travail, les chaussures de sécurité, les masques anti-bruit et les gants, ceci n’est pas conforme aux dispositions des articles 213 du code du travail. Au niveau de cabinets d’aisance, il est constaté que ceux des hommes ne sont pas distincts de ceux des femmes. Ceci n’est pas conforme aux dispositions des articles 213 du code du travail. L’entreprise ne dispose pas d’extincteurs, la NSTPP n’effectue ni de visites médicales d’embauche ni de visites médicales périodiques à ses travailleurs, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 223 du code du travail.
En plus, la SNI ne dispose pas d’enseigne, sa carte unique de création d’entreprise est expirée, la carte import-export, le certificat pour la production des plastiques biodégradables, l’agrément pour la production des plastiques biodégradables, les factures normalisées OTR, les documents commerciaux, le certificat de Conformité Environnementale sont tous inexistants.
Toutes ces graves irrégularités ont conduit la commission à formuler des recommandations à la société qui les balaie du revers de la main et continue de maintenir les employés dans des conditions précaires dans l’usine. Taleb Mazeh et ses compatriotes comptent sur leurs relations au sein du régime pour narguer les experts du ministère du travail, du commerce, de la préfecture de Zio, de la gendarmerie de la localité et autres.
« A la fin de ses travaux, la commission ne peut que déplorer les cas graves d’accident survenus à la NSTPP et l’attitude de la direction générale de la société qui ne prend pas toujours en compte les recommandations des institutions chargées de veiller au respect de la réglementation en matière de travail. Même l’intervention des plus hautes autorités semble n’avoir pas non plus produit les résultats escomptés », conclut le rapport.
Source: lalternative.info

















