Quand le panafricanisme devient accessoire diplomatique
Lors de la 80ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations Unies, Robert Dussey s’est traversti en héraut d’une Afrique souveraine, drapé d’un kenté exhibé comme un talisman identitaire. Mais sous ce tissu royal, symbole de lutte et d’émancipation, transparaît un costume taillé selon les normes occidentales. Chemise blanche éclatante, cravate rouge nouée au millimètre : l’uniforme d’un laquais bien dressé, docile héritier des postures coloniales, fidèle aux rites poussiéreux de la Françafrique.
Autonomie stratégique ou théâtre diplomatique ?
Dussey invoque l’autonomie africaine, la fin des tutelles, la souveraineté continentale. Pourtant, le Togo demeure l’un des élèves modèles de la Françafrique. Les accords de défense signés avec Paris dans les années 1960 sont toujours en vigueur. En 2020, la coopération militaire a été renouvelée, et les conseillers français continuent de graviter dans les cercles sécuritaires togolais. Le franc CFA, relique coloniale, reste en usage. L’Afrique qu’il décrit est libre en discours, mais captive en pratique.
République dynastique : 60 ans de règne, zéro alternance
• Gnassingbé père et fils : Depuis 1967, le pouvoir circule en famille. Une dynastie politique maquillée en démocratie électorale.
• Élections verrouillées : Les urnes sont scellées avant même d’être ouvertes. Les résultats sont connus d’avance, les opposants muselés, les manifestants dispersés à coups de gaz lacrymogènes.
Le Togo n’a jamais connu d’alternance politique depuis son indépendance. Pourtant, Dussey parle de justice, de dignité et de démocratie.
Anti-impérialisme en cravate impériale
• Langage codé : Derrière les appels à “réformer le multilatéralisme” se cache l’acceptation tacite d’un ordre mondial où l’Afrique reste spectatrice.
• Silence stratégique : Pas un mot sur les bases militaires françaises, ni sur les accords sécuritaires qui garantissent la longévité du régime togolais.
Le discours se veut subversif, mais il est calibré pour ne froisser aucun partenaire occidental. L’anti-impérialisme devient posture diplomatique.
Paix imposée, prisonniers oubliés
• Répression systémique : Journalistes emprisonnés, activistes traqués, opposants exilés. Le Togo vit une pré-révolution étouffée.
• Mémoire sélective : Dussey réclame justice pour les crimes coloniaux, mais ignore les abus contemporains commis sous son propre gouvernement.
La paix dont il parle est celle du silence imposé. Une stabilité construite sur la peur, la surveillance et l’intimidation.
Réformes internationales, immobilisme national
• ONU à réformer, Togo à figer : Le ministre plaide pour une voix africaine au Conseil de sécurité, mais refuse toute réforme interne.
• Mandats illimités : En 2019, la réforme constitutionnelle limitant les mandats présidentiels est adoptée… sans effet rétroactif. Faure Gnassingbé peut se représenter indéfiniment.
• En 2024, Faure Gnassingbé s’est offert une monarchie sans couronne : une réforme constitutionnelle taillée sur mesure, sans référendum, qui lui confie le pouvoir à vie via un Parlement illégitime. Après avoir neutralisé la limite des mandats en 2019, il parachève son règne dynastique en piétinant la Constitution de 1992. Le peuple ? Spectateur d’un tour de passe-passe institutionnel.
Le paradoxe est total : réclamer une réforme mondiale tout en verrouillant son propre pays.
Dignité africaine, mépris togolais
• Alternance confisquée : Les revendications populaires sont ignorées. Les élections sont une mise en scène, les institutions aux ordres.
• Dignité en vitrine : Elle ne se décrète pas à l’ONU, elle se construit dans le respect des citoyens.
Dussey parle au nom de l’Afrique, mais oublie les Togolais. Le kenté qu’il arbore ne suffit pas à masquer le costume de l’ordre impérial qu’il incarne.
Ventriloquie diplomatique
Le discours de Robert Dussey est un exercice de haute voltige : l’Afrique parle, mais c’est l’Occident qui souffle les mots. Tant que le Togo restera une vitrine d’apparat pour la Françafrique, sa voix sur la scène internationale ne sera qu’un écho creux. Le kenté devient un alibi textile, un cache-misère symbolique, un drap posé sur une réalité politique verrouillée.
Par Karl Adadé GABA
Source : letogolais.com