« Aucun homme politique au Togo ne s’est encore libéré de cette perception-là que c’est la France qui doit mettre les gens au pouvoir. Tous les politiciens que moi j’ai connu depuis 1990 jusqu’à présent ne jurent que par la France. La preuve c’est que vous n’allez pas voir un homme politique togolais dénoncer le Franc CFA, […] ou la politique française clairement de façon frontale comme c’est le cas des politiciens comme Mamadou Koulibaly […] Eux tous sont en train de lorgner, de se faire coopter pour être mis au pouvoir.» Joseph Takeli, analyste et activiste politique togolais, décembre 2023.
Bonne et heureuse année 2024 à vous, chers lecteurs !
Pour débuter, je reviens à mon sujet politique préféré, à savoir comment revigorer l’opposition togolaise, face notamment à ce que l’on qualifierait de contrôle total, entier et absolu du pays par le parti présidentiel ; certains parlent d’un « quadrillage » du pays, un terme qui ne serait pas de trop pour un pays régenté par un régime militaire. Vous avez sans doute remarqué que le titre fait allusion aux « oppositions togolaises » et non à « l’opposition togolaise », c’est pour marquer mon accord avec ceux qui soutiennent que l’opposition avec grand « O » a disparu au profit des opposants, chacun prêchant pour sa chapelle, soit des oppositions.
Lorsque l’on procède à l’état des lieux de nos oppositions (c’est-à-dire les différentes chapelles), l’on ne peut que tirer une conclusion : les opposants togolais, animateurs des oppositions togolaises, sont inaudibles, invisibles et isolés. Si l’on devait justifier cette situation sur le plan national par les restrictions et la répression des activités politiques par le régime militaire, cet argument résiste peu aux niveaux ouest-africain et continental où les opposants togolais manquent tout autant de visibilité et sont totalement isolés malgré la multitude des outils de communication politique qui sont susceptibles d’échapper à la répression. Nous pourrions développer cette problématique sur des milliers de pages, mais ce n’est pas l’objectif de la présente analyse.
Quoique l’on dise sur les opposants togolais, la question que le lecteur de la présente analyse se posera est celle-ci : partant du diagnostic et des faiblesses des oppositions du Togo dans leur ensemble, que propose-t-on pour y remédier ou aider ces oppositions à se remettre de leur état ? Comment les oppositions togolaises peuvent-elles être plus audibles, plus visibles ? Je vois six solutions, mais je n’aborderai qu’une dans cette première partie.
Se positionner par rapport au mouvement souverainiste africain
« Oh rage ! oh désespoir ! oh silence incompréhensible des opposants togolais ! »
On n’a pas besoin de vivre dans un pays du sahel pour comprendre que le mouvement souverainiste, ou panafricaniste comme certains l’appellent, ce mouvement d’opposition frontale et de rejet de la néfaste politique française dans les pays africains, est en train de gagner les cœurs et les esprits même dans les villages les plus reculés de l’Afrique surtout francophone, y compris parmi les militants et sympathisants des oppositions togolaises. L’isolement des opposants togolais vient de leur absence (d’aucuns diraient leur silence) dans les débats sur les problématiques liées au souverainisme qui agitent la sous-région ouest-africaine ou l’Afrique francophone en général. Lorsqu’on gratte le vernis qui entoure le silence des opposants togolais sur ces problématiques, y compris les opposants qui se proclament nationalistes ou panafricanistes, on trouve une cause, bien intrigante et inquiétante : la peur de dire ce qui pourrait déplaire non pas au régime militaire togolais, mais plutôt à la France, supposée à tort ou à raison détenir les clés du changement politique, aspiration collective de la majorité des Togolais.
Dans une récente intervention relayée sur les réseaux sociaux, Joseph Takeli, un analyste et activiste politique togolais basé aux Etats-Unis déclarait que depuis plusieurs années qu’il côtoie les opposants togolais, aucun d’eux n’a daigner afficher ouvertement une quelconque opposition à l’influence française ou dénoncer la politique française en Afrique. Au contraire ces opposants togolais pensent tous que le changement politique pour lequel ils consacrent leur temps et leurs ressources ne dépend que du bon vouloir de la France, et pour y arriver, il faudrait plaire à la France, ou à tout le moins, ne pas déplaire à la France.
Petit à petit, les opposants togolais ont fait du refus de critiquer ouvertement la France une muraille infranchissable et se sont installés dans une zone de confort qui en fait les amène à adopter la langue de bois face aux assauts et aux coups portés contre l’influence française, que ce soit par le biais des coups d’état contre les laquais ou le « chassement » de l’armée française de la sous-région. La nature ayant horreur du vide, c’est plutôt le régime militaire togolais, enfant chéri de la néfaste politique française, qui prend les devants en se désolidarisant des injonctions de la chère France (cas du Niger), mettant en place une chaîne de télévision qui donne la parole aux pourfendeurs de la France-Afrique. « Oh rage ! oh désespoir ! oh silence incompréhensible de nos opposants ! », pourrait-on s’écrier, pour emprunter les propos de Don Diègue dans « Le Cid » de Corneille.
La renaissance et la vigueur du mouvement souverainiste africain sont une nouvelle donne sur laquelle les opposants togolais devraient capitaliser. Pour sortir des sentiers battus et affirmer leur pertinence en ces moments critiques, pour accroitre leur crédibilité vis-à-vis de la population togolaise et de l’opinion africaine, les opposants togolais devraient s’émanciper de la France-Afrique, sortir de la zone de confort pro-française. Aujourd’hui on peut dire avec certitude que si le refus des opposants togolais de dénoncer ouvertement la France n’a pas conduit au changement politique au Togo, ces opposants n’auront rien à perdre dans une critique assumée de la France. Même si une telle critique leur faisait perdre la prétendue (et stérile) bienveillance de la France-Afrique à leur égard, ils garderaient l’estime des peuples africains. Après tout, l’adage ne dit-il pas que « qui ne risque rien n’aura rien » ? Rendez-vous pour la deuxième partie très prochainement.
A. Ben Yaya
New York, 31 décembre 2023