Dans la région des Savanes, les courses-poursuites et les rackets orchestrés par certains éléments des forces de l’ordre sur les routes deviennent monnaie courante. Mercredi, à Gousiesse, dans le canton de Lotogou, une chasse au « trafiquant » de carburant a viré à la tragédie, créant un climat de défiance entre la population et les forces de sécurité.
Mercredi matin, un drame est venu secouer le calme apparent du village de Gousiesse, frontalier du Ghana, dans la commune de Tône 3. Deux policiers du poste de police de Tami, en chasse d’un jeune meunier revenant du Ghana avec du carburant destiné à faire fonctionner son moulin, ont violemment percuté un homme d’une cinquantaine d’années qui marchait sur le bord de la route.
Transporté d’urgence au centre de santé de Nabonga, il a succombé à ses blessures quelques minutes plus tard.
L’annonce de sa mort a provoqué une vague d’indignation dans le village. Très vite, des jeunes en colère ont investi la résidence du chef canton de Lotogou, avant de se rendre à la gendarmerie de Warkambou et à la mairie de Tône 3.
Malgré les appels au calme du secrétaire général de la mairie et des forces de l’ordre, la tension n’a cessé de monter. Deux camions de gendarmes ont finalement été dépêchés en renfort pour éviter un embrasement total.
L’incident de Gousiesse lève le voile sur un problème majeur dans la région des Savanes : l’accès au carburant. « Il n’y a pas une seule station-service dans toute la commune de Tône 3. Les motos doivent rouler, les moulins doivent fonctionner. Nous avons besoin de carburant pour des urgences », s’indigne un habitant.
Pour s’approvisionner légalement, il faut parcourir près de 50 kilomètres. Mais ceux qui franchissent la frontière ghanéenne voisine pour acheter du carburant s’exposent systématiquement aux contrôles et aux rackets policiers.
« Nous sommes fatigués ! À la moindre occasion, ils t’arrêtent, te menacent et prennent de l’argent », dénonce un autre jeune du village. Cette situation, loin d’être isolée, est dénoncée depuis plusieurs mois par les populations de la région. À la mi-août, des jeunes de Nano avaient haussé le ton contre ces pratiques abusives.
Depuis trois ans, la région des Savanes est sous la menace des incursions de groupes armés non étatiques, justifiant la mise en place d’un état d’urgence sécuritaire depuis juin 2022. Dans ce contexte, la collaboration entre la population et les forces de défense et de sécurité (FDS) est essentielle. Pourtant, les abus de certains agents viennent détériorer cette relation fragile.
En mars 2024, l’évêque du diocèse de Dapaong dénonçait déjà ces pratiques de racket qui nuisent aux efforts de sécurisation du territoire. L’incident de Gousiesse en est une nouvelle illustration. Si les autorités appellent à une confiance mutuelle entre civils et forces de l’ordre, ces comportements sapent progressivement les bases de cette coopération.
Face à la colère des habitants, le procureur a ordonné l’inhumation rapide de la victime, promettant de prendre l’affaire en main. Les deux policiers impliqués auraient été placés en détention. Mais cela suffira-t-il à apaiser les tensions et à restaurer la confiance ?
Dans une région éprouvée par plusieurs années d’état d’urgence, chaque nouvel abus des forces de l’ordre creuse un peu plus le fossé entre le peuple et son armée.
François Bangane
Source: lalternative.info