Il arrive parfois qu’on se retrouve face à des situations qui sortent de l’entendement. Comment comprendre que des employés, pères et mères de familles, marginalisés, oppressés et traités comme des moins que rien par des employeurs véreux, se retournent contre leurs camarades qui luttent pour leurs droits ? Ils espionnent leurs « défenseurs » et rapportent dans les moindres détails les actions prévues par ces derniers pour les sortir du pétrin. Beaucoup de délégués de personnel vivent cette situation dans nombreux entreprises et sociétés au Togo. Les dockers au Port autonome de Lomé en souffrent aussi.
Cette catégorie professionnelle, comme d’autres sur toute l’étendue du territoire, est une chaîne importante du maillon qui fait vivre le poumon de l’économie togolaise, le PAL. Ils sont plus de 3 000 dockers à travailler dans le port. Mais ils travaillent dans des conditions difficiles faites de salaires insuffisants, de prises en charge quasi-inexistant en cas d’accident de travail, d’absence de matériels de sécurité sur les lieux de travail, etc.
Des milliers de jeunes dockers travaillent au port de Lomé. La plupart sont des occasionnels, donc sous-payés. Mais ils se donnent à fond pour rendre dynamiques les activités au port. Selon nos informations, par exemple, lorsqu’un navire de 45 000 tonnes accoste, ils font au plus un mois. Ces jeunes dockers se démènent pour décharger le navire dans ce délai qui profite au port.
Comment travaillent les dockers ?
Les dockers sont classés par catégorie au Port autonome de Lomé. Il y a les dockers permanents, professionnels et occasionnels. Ceux qui sont permanents et professionnels ont un salaire de base. Par contre, les dockers occasionnels n’en ont pas. Alors que ce sont eux qui font le gros du boulot au port.
« S’il n’y a pas de navire sur le quai, eux ils restent à la maison et n’ont pas de salaire à percevoir », confie un docker joint par la Rédaction.
Ce que perçoivent les dockers au port de Lomé se présente comme suit :
– Vacation de la journée (de 07 heures à 15 heures) : 4 200 FCFA
– Vacation de l’après-midi (de 15 heures à 23 heures) : 4 700 FCFA
– Vacation de la nuit (23 heures à 07 heures) : 5 600 FCFA.
Très souvent il y a des retards dans le paiement de ces salaires misérables. « Parfois il nous faut menacer, agiter le bâton de la grève devant l’employeur avant qu’on ne reverse ce qui nous revient de droit », indique le docker que nous avons contacté.
Un système du service de la main d’œuvre du port qui coince les jeunes
Le service de la main d’œuvre du Port autonome de Lomé a instauré un système pour maintenir davantage de jeunes occasionnels, selon notre source. L’âge de ces jeunes au niveau occasionnel est compris entre 20 et 30 ans.
Selon le système, pour passer d’occasionnel à professionnel, le docker doit avoir 41 ans. Normalement dans toute entreprise ou société, lorsqu’il faut promouvoir les employés, on se réfère à l’ancienneté dans le travail. Mais le service de main d’œuvre a instauré l’âge.
« Les gens travaillent au port pendant dix ou 13 ans. Mais parce qu’ils n’ont pas encore 41 ans, ils sont restés occasionnels. Pendant ce temps, les responsables du port font venir les membres de leur famille qu’ils promeuvent immédiatement dockers professionnels et gagnent plus que ceux qui sont là depuis des années », ajoute la source.
Selon les informations, il y en a même qui font venir des gens, des connaissances qu’ils mettent en même temps dans la catégorie des professionnels. Mais ces travailleurs doivent leur verser un pourcentage sur leur salaire.
La situation amène souvent les dockers à se soulever et décider d’entrer en grève pour revendiquer leurs droits.
Espionnage, sabotage, licenciement…
A plusieurs reprises, les dockers au port de Lomé ont organisé des mouvements pour se faire entendre. Les mouvements d’humeur semblent prendre le premier jour. Mais ensuite, tout sombre dans le sabotage.
« Quand on décide de ne pas travailler, de bloquer le guichet pour empêcher la formation des équipes, le service de la main d’œuvre sabote le mouvement en piochant certains employés traitres qu’ils utilisent pour faire le travail », souligne le docker.
Ce qui réduit à néant les efforts fournis par les délégués pour mettre en place des mécanismes de revendications des droits de tous les travailleurs. « Ces malhonnêtes acceptent quelques viles promesses. Tout revient à zéro, puisque la grève ne continue pas ».
Et ces employés traitres, quelques jours plus tard, retombent dans les conditions difficiles ensemble avec les autres travailleurs.

Le dernier mouvement organisé par les dockers a été une confrontation avec des militaires qu’on a déployés sur le quai. Les hommes en uniforme étaient déjà sur les lieux très tôt le matin avant l’arrivée des employés. Ce qui veut dire que des espions avaient déjà informé la direction du port qu’il était prévu une grève ce jour.
« Ils ont tout simplement cassé le mouvement. Mais nous sommes tous dans la même situation aujourd’hui. On subit ensemble ».
Des risques sur les lieux de travail
Une vidéo publiée sur la page Facebook de L’Alternative dimanche dernier montre l’état dans lequel se trouve le 1er quai au Port autonome de Lomé. Un quai totalement amorti qui est un danger permanent pour les travailleurs.
Une saleté pas possible sur le long du quai où accoste des navires et qui génère des milliards au port par mois. Des dockers, qui n’ont pas de vestiaires ni de cabines pour se changer ou se reposer, sont couchés à même le sol sur le quai, exposés aux tonnes de charges que soulèvent des grues à côté.
Les caniveaux sur le quai sont bouchés et transformés en de véritables mares aux eaux nauséabondes. Les toilettes sont devenues des porcheries, avec leurs murs crasseux qui donnent envie de vomir.
Devant les toilettes se trouvent un hangar de fortune sous lequel les dockers garent leurs motos. C’est sous ce hangar que les pointeurs dressent des tables qui servent de bureau, où ils font la situation des points collectés sur les navires par leurs collègues.
A côté se trouve un bâtiment presqu’en ruine. A l’intérieur, on a les bureaux des contremaîtres qui travaillent dans ce lieu en délabrement.
En face des toilettes, un magasin sur lequel est écrit « Manuport ». Ce magasin qui ne sert plus rien, présente des risques pour les travailleurs car il peut s’écrouler à tout moment. « Comme ça n’a pas encore fait de victime, ils regardent », regrette notre source.
Isidore kouwonou
Journaliste, Rédacteur en Chef, 14 ans dans le métier et 10 ans dans l’investigation.
Source: lalterntive.info















