A l’image de tous les projets initiés par les gouvernements successifs sous Faure Gnassingbé, c’est en grande pompe que le Projet de Développement Rural de la plaine de Djagblé (PDRD) a été lancé le 22 février 2018. Vanté comme devant transformé le visage de Djagblé et de toutes les autres contrées aux abords des rives du fleuve zio, ce projet est source aujourd’hui de la détresse des expropriés de la zone qui jusqu’à présent n’ont eu aucun dédommagement et de la misère des agriculteurs dont la saison risque d’être désastreuse.*
Si tous les projets initiés sous le régime de Faure Gnassingbé étaient conduits et réalisés tels que présentés aux partenaires financiers et à la population, le Togo n’aurait rien à envier à ses voisins immédiats comme le Bénin ou le Ghana. Malheureusement, la minorité au pouvoir s’accapare des ressources allouées aux projets. Il en est ainsi du « Projet de Développement Rural de la Plaine de Djagblé » (PDRD).
A l’origine de ce projet, plusieurs milliards de francs CFA déboursés par la BID et la BADEA.
Le jeudi 22 février 2018, c’est le Chef de l’Etat togolais Faure Gnassingbé en personne, et comme de coutume, entouré du Premier Ministre, du Président de l’Assemblée Nationale et de nombreux ministres à l’époque, qui donnait le premier coup de pioche du Projet de Développement Rural de la plaine de Djagblé (PDRD) sur le site dudit projet à Djagblé, localité située à 13 Km au Nord-Est de Lomé.
Ce projet dont l’objectif, entre autres, est de valoriser les potentialités de cette plaine à travers la culture du riz, a été cofinancé par la Banque Islamique de Développement (BID) et la Banque Arable pour le Développement Economique en Afrique (BADEA) à hauteur de 9,6 milliards de francs CFA.
Avec ce projet, ce site devrait produire à terme 5 tonnes de riz par hectares, mettre sur le marché de consommation, 2020 tonnes de riz décortiqués par an et accroitre significativement les revenus des producteurs à hauteur de 816 millions F CFA par an.
Par ailleurs, le PDRD était présenté comme vecteur de lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle et la pauvreté, d’amélioration du cadre de vie des populations et de créations de nouveaux emplois.
Malheureusement, la réalité de ce projet est très loin du conte féérique présenté aux populations.
Dès le départ, le PDRD a été miné par une grande injustice sociale qui jusqu’à présent perdure et les victimes sont loin de trouver le bout du tunnel
Pour la mise en œuvre du projet rizicole, au total de 340 hectares ont été réquisitionnés par l’Etat togolais. Ces terres n’étaient pas sans maître ! Il s’agit de parcelles dont les propriétaires soit par héritage ou par achat, ont été évincés sans percevoir jusqu’à présent la juste indemnisation qui leur est légalement due suivant la Constitution togolaise.
Ce sont plus de 500 acquéreurs et propriétaires qui attendent depuis bientôt 10 ans leur recasement en vain. Leur statut de sans abris semble de moins en moins préoccuper le gouvernement et en plus de cela ils doivent subir la roublardise de premiers responsables du PDRD et des autorités locales qui devraient faciliter la résolution de ce problème foncier.
Comment en est-on arrivé à cette injustice créée par l’Etat qui devrait être le garant de l’application de la loi ?
Il convient de rappeler les dispositions claires et nettes de la Constitution Togolaise et du Code Foncier sur le droit de propriété et les hypothèses d’expropriation par l’Etat.
L’article 13 de la Déclaration solennelle des Droits et Devoirs du Citoyen annexée à la Constitution Togolaise garantit clairement la propriété et le droit de succession : « nul ne peut être privé de sa propriété si ce n’est lorsque la nécessité publique qui l’exige. Les modalités de l’expropriation sont prévues par une loi qui fixe le mode et la mesure de l’indemnisation ».
Le code foncier et domanial du Togo apporte plus de précisions sur l’expropriation, une situation exceptionnelle d’atteinte au droit de propriété et ouverte à l’Etat, aux Collectivités locales, aux personnes morales de droit public ainsi qu’aux personnes morales ou physiques de droit privé auxquelles la puissance publique délègue des droits en vue d’entreprendre des travaux ou des opérations déclarés d’utilité publique (Art.361 Code Foncier et Domanial).
Spécifiquement le cas du PDRD est traité par les articles 386 et 387 du Code Foncier et Domanial : « Lorsqu’il est nécessaire de procéder d’urgence à la réalisation d’un projet, un décret en conseil des Ministres, après enquête et avis de la commission d’expropriation, déclare l’utilité publique ainsi que l’urgence de l’opération…L’Etat met tout en œuvre pour fixer de manière amiable le montant de l’indemnité ».
En dépit de ces textes fondamentaux dont même les interprétations les plus tordues ne peuvent justifier la malheureuse situation des acquéreurs et propriétaires de la plaine de Djagblé, l’indemnisation se fait attendre ou carrément se réalise selon la tête du client. Faut-il le rappeler, certains propriétaires ont démoli eux-mêmes leurs constructions croyant aux promesses et à la bonne foi du gouvernement.
Chronologie des actions des victimes depuis leur éviction de leurs propriétés
Le comité des acquéreurs et des propriétaires terriens mis en place a eu des échanges avec les autorités officielles dont le préfet du Zio accompagné du Comité interministériel d’indemnisation et Idevert-Honoré Kouawo Tchawalassou, Directeur du PDRD (Programme de développement rural de la plaine de Djagblé). Malgré la constitution des dossiers tels que demandée aux victimes et déposés auprès de la structure indiquée, c’est le statu quo.
Les victimes ne sont tout de même pas restées les bras croisés
« C’est comme si notre problème n’est pas le leur. Toutes nos actions pour rentrer dans nos droits n’aboutissent pas », a expliqué le cœur serré, le président du comité, Mawulé Afatchao.
Entre négociations de couloirs, conférences de presse, courriers aux acteurs impliqués dont la présidence de la République, le Médiateur de la République, le ministère de l’Agriculture, les victimes ont usé des moyens à leur disposition pour que leur cause soit entendue. Elles ont continué à mener des démarches auprès de la Direction du PDRD, notamment du comité pour les procédures d’indemnisation. Mais rien n’y fit.
En réalité, le droit est laissé de côté pour faire place à de la manipulation par des mains noires qui bloquent la procédure
La manipulation des victimes vient de tous les côtés. Entre 2018 et 2022, certains membres du comité d’indemnisation, le Chef Canton lui-même et la Direction du projet ont vainement essayé de troubler la sérénité des victimes à revendiquer collectivement leur droit.
Juridiquement, il revient à l’Etat d’indemniser ces propriétaires désabusés en déclarant au préalable les lieux, une zone d’utilité publique. Et il se susurre que depuis 2022, ce décret aurait dû être pris par le Chef de l’Etat pour permettre l’avancement du dossier. Pourtant, selon le Président du Comité des victimes, la mouture de ce décret est depuis longtemps transmise par la Direction du projet au ministère de l’Agriculture.
Pourquoi ce projet de décret n’est toujours pas présenté au Conseil des ministres pour validation ? Qui au ministère de l’Agriculture ou à la Présidence de la République bloque le dossier ? Et pour quel intérêt ?
Y-a-t-il eu un détournement des fonds prévus pour l’indemnisation des expropriés de la plaine de Djagblé par des insatiables de la minorité du régime en place ?
Cette dernière interrogation revêt tout son sens car elle pourrait expliquer les basses œuvres des mains noires qui bloquent ce dossier. L’aspect de l’indemnisation des expropriés a dû certainement être pris en compte par les partenaires comme la BID et la BADEA dans ce projet.
Il convient de rappeler qu’au départ, le montant de l’indemnisation promise aux propriétaires terriens s’élevait à 1.200.000 F CFA par lot. A l’époque, cette somme représentant la valeur du lot pouvait leur permettre d’acquérir d’autres parcelles. Cependant, 7 ans après, ce montant est devenu totalement dérisoire, le lot étant à plus de 6.000.000 F CFA désormais.
La souffrance des expropriés de la plaine de Djagblé aurait pu être considérée comme un moindre mal si le PDRD présentait 7 ans après son lancement en grand tintamarre des perspectives de succès.
Actuellement, on peut affirmer clairement que les fruits du PDRD n’ont pas tenu les promesses des fleurs
Est-ce que Faure Gnassingbé prend la peine de s’enquérir de l’état de réussite de ce projet qu’il a personnellement lancé en février 2015 ? Est-ce qu’il y a au sein de l’appareil étatique un comité de contrôle et de suivi de ce projet financé à des milliards de francs CFA par la BID et la BADEA ?
Difficile de répondre à cette question par l’affirmatif si on se réfère à l’état des lieux et la réalité de la situation actuelle sur le terrain.
La superficie financée par les partenaires n’est pas celle effectivement exploitée !
Le PDRD, à l’origine, devrait se déployer sur une superficie d’environ 340 hectares que le gouvernement arrondit par complaisance à 400 hectares. Cependant sur place, les agriculteurs déclarent que moins de 180 hectares sont effectivement mis en exploitation. Une telle situation met inévitablement en péril les objectifs fixés à ce projet.
Par ailleurs, le projet tel que décrit est une culture de riz sur une vaste zone avec des moyens mécaniques modernes. Encore là, tout semble indiquer que les conducteurs de ce projet ont été plus intéressés par l’achat et la dotation de quelques matériels insuffisants et non adaptés à l’environnement de Djagblé.
Sur place, les agriculteurs citent au bout des doigts les matériels qu’ils ont vu : 2 batteuses, 8 motoculteurs, 12 moissonneuses. Il y a également 2 décortiqueuses de riz blanc à chaîne qui auraient coûté chacune 51 millions de francs CFA. Aujourd’hui, une grande partie de ces machines ne fonctionne plus.
Par ailleurs, certaines infrastructures semblent avoir été mises en place dans l’unique but justifier auprès des bailleurs de fonds les dépenses et dissimuler des détournements. C’est le cas par exemple de multiples toilettes qui ont été construites alors que les locaux devant abriter du personnel permanent comme les agents de sécurité des magasins de stockage du riz font défaut.
Clairement les charrues ont été mises devant les bœufs !
Un autre problème majeur qui ruine le PDRD est celui de la non maitrise de l’eau
Même pour le dernier des profanes en matière de culture de riz, il est évident que la disponibilité de l’eau est la base d’une telle activité. Cela devrait être le nœud de ce projet. Malheureusement, les exploitants de ces terres demeurent encore soumis aux aléas du climat c’est-à-dire à la pluie.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, les agriculteurs vivent un calvaire et ne savent pas encore d’où leur viendra le secours. Pour la simple raison que la saison des pluies a été plutôt brève. Sur le site, la retenue d’eau censée être la source d’irrigation des cultures est totalement ensablée. Et sans eau, il est impossible d’avoir des récoltes. Alors que ce projet intégrait la mise en place de structures pour assurer aux riziculteurs une disponibilité permanente d’eau.
Notons que ces exploitants sont organisés en coopératives. Cela veut dire qu’ils ont bénéficié d’accompagnements financiers et ils sont censés rembourser ces concours. Les riziculteurs, pour la plupart, font ainsi face à deux problèmes, mauvaises récoltes et dettes financières, dont l’unique origine est l’obscurantisme dans la gestion du PDRD.
Et toujours la même interrogation qui revient : les fonds alloués au projet auraient-ils servi à autre chose ?
Entre les propriétaires terriens non indemnisés et les riziculteurs organisés en coopératives, il est difficile de savoir aujourd’hui ceux qui pâtissent du Projet de Développement Rural de la plaine de Djagblé (PDRD).
Quand on observe ce qui se passe sur le site et l’impact social réel de ce projet, on ne peut que conclure qu’au lieu de développer la plaine de Djagblé, le PDRD a plutôt servi à enrichir une petite minorité au sein des dirigeants du pays, puisque tous les cris des victimes (expropriés non indemnisés et riziculteurs désemparés) ne sont écoutés de personne au sommet de l’Etat.
Nos tentatives pour avoir la réaction de la coordination du projet sont restées vaines.
Kossi Lamba et Dzigbodi Afi
Source: lalternative.info