L’attente devient longue et les Togolais piaffent d’impatience. Depuis 4 mois, Faure Gnassingbé peine à former une nouvelle équipe gouvernementale devant impulser une nouvelle dynamique au pays qui a basculé à la 5è République depuis le 3 mai 2025.
Depuis 2005 où Faure Gnassingbé a pris la place de son père au trône, ce sont les mêmes têtes qu’il a cooptées dans les gouvernements successifs. Certains de son entourage, ont fait de la fonction ministérielle, une carrière professionnelle, à l’instar de Gilbert Bawara qui cumule 18 ans dans le gouvernement, Victoire Tomegah-Dogbé (17 ans) Cina Lawson (15 ans), Robert Dussey (12 ans), Yark Damehame (12 ans) … On le voit, leur profession, c’est d’être ministre.
Bref, ce sont les mêmes hommes de confiance que Faure Gnassingbé recycle tout le temps. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil à Lomé. C’est fort étonnant que le Président du Conseil rencontre autant de difficultés pour composer son équipe, puisque, visiblement, il n’y aura pas de nouveaux faciès à moins qu’il ne pioche au sein de ses amis de l’opposition « Yom-la », c’est-à-dire des responsables politiques intéressés, opportunistes qui n’attendent qu’un coup de fil de Faure Gnassingbé pour rejoindre, avec armes et bagages, le « mangeons-club » pour continuer à lécher les doigts. Il est difficilement compréhensible la léthargie abyssale dans laquelle baigne le pouvoir hybride à deux têtes, avec Faure Gnassingbé comme Président du Conseil et Jean-Lucien Savi de Tové, Président de la République.
Interrogé sur l’incapacité de Faure Gnassingbé à former un nouveau gouvernement, Gilbert Bawara a tenté maladroitement de comparer la situation du Togo à celle qu’avait connue la Belgique. Pour lui, la situation du Togo n’est ni inédite, ni extraordinaire, puisque la Belgique était restée plus d’un an avec un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes. Or on est dans deux contextes totalement différents qui n’ont rien à avoir l’un avec l’autre.
La raison pour laquelle la Belgique n’avait pas pu former de gouvernement pendant un an (2019-2020), c’est simplement parce que le paysage politique belge est très fragmenté, avec de nombreux partis représentés, et une division idéologique marquée entre la Flandre (plus à droite) et la Wallonie (plus à gauche), avec des divergences communautaires. La Flandre et la Wallonie avaient des revendications différentes, rendant la formation d’un accord de gouvernement complexe.
On ne peut pas dire la même chose du Togo qui, malgré le multipartisme formel, a sombré lamentablement dans un parti unique décapant, avec le parti Etat, UNIR, qui s’est octroyé 96% des sièges au parlement (108 députés sur 113) ; presque 100% de sièges au Sénat ; 1150 sièges sur 1527 aux élections municipales et 137 conseillers régionaux sur 179. Dans ces conditions, comparer la situation du Togo à celle du Belgique de 2019, relève de l’hérésie.
Faure Gnassingbé a-t-il été piégé par sa propre Constitution conçue unilatéralement et en catimini pour lui permettre de jouir indéfiniment du pouvoir ? Le confrère « La Dépêche » y croit fermement. A propos de cette Constitution controversée, il faut rappeler que le suffrage universel direct a été supprimé et tous les pouvoirs sont concentré entre les mains de Faure Gnassingbé, Président du Conseil, tandis que le Président de la République a été réduit à une portion congrue.
Ainsi, Faure Gnassingbé, selon les dispositions de la nouvelle Constitution, est le chef suprême des armées ; il préside le conseil des ministres, dispose de l’administration, détermine et conduit la politique de la nation, représente l’Etat dans les relations internationales, nomme aux emplois civils et militaires, etc.
Quant à Jean-Lucien Savi de Tové, il est le chef de l’Etat et symbolise l’unité nationale ; il accrédite les ambassadeurs nommés en conseil des ministres, reçoit les lettres de créances des ambassadeurs envoyés au Togo, reçoit le président du Conseil deux fois par an pour l’écouter sur l’état de la nation.
Dans l’application de ces dispositions, l’hebdomadaire « La Dépêche », dans sa parution N°1235 du 20 août 2025, estime que Jean-Lucien Savi de Tové est une personnalité plus importante que Faure Gnassingbé. « Non seulement il [Jean-Lucien Savi de Tové] est le plus connu maintenant à travers la gestion des chancelleries que Faure Gnassingbé voulait gérer en s’octroyant la gestion des relations internationales, mais aussi il a de l’ascendance sur le Président du Conseil », écrit le confrère.
« De plus, notre prince qui ne rendait compte à personne est désormais obligé de rendre compte à Jean-Lucien Savi de Tové. Et puis, en sa qualité de chef de l’Etat et symbole de l’unité nationale, Savi de Tové peut démettre Faure Gnassingbé dès qu’il remarque que ce dernier devient source d’instabilité ou de crise dans le pays […] Réduit au rang de ministre, Faure Gnassingbé n’a pas de mandat électif pour être à l’abri des risques. Il a fui les élections, mais la réalité du mandat impératif (mandat non électif) lui montre l’impasse dans laquelle il s’est placés », ajoute l’auteur de l’article.
« Former un gouvernement pour y devenir ministre ? » s’interroge le journal, qui fait remarquer que « ce qui arrive à Faure Gnassingbé actuellement n’est rien d’autre qu’un déshonneur auquel il ne s’attendait pas. Tenez, le gouvernement qu’il est appelé à former est aussi sa place. En tant que président du Conseil, il est le chef du gouvernement donc ce qu’on appelait Premier ministre, un simple primus inter pares. Conséquence, notre prince est en colère. Il n’a pas envie de former le tout premier gouvernement de la Ve République. Et il traine, depuis sa prestation de serment jusqu’à ce jour, avec l’ancien gouvernement de la précédente République. Au regard de tous ces éléments, il est évident que Faure Gnassingbé est dégoûté par la Ve République. Il n’y croirait plus. Le piège s’est refermé sur notre prince. » Ceci expliquerait donc cela.
Dans la fable, « La Grenouille et le rat », le rat a été piégé par ses propres tromperies et sa ruse. A ce propos, Jean de La Fontaine écrit : « La ruse la mieux ourdie peut nuire à son inventeur ; Et souvent la perfidie retourne sur son auteur ». En clair, le stratagème le plus ingénieux peut se retourner contre celui qui l’a conçu. Cette morale semble illustrer la situation actuelle du Togo.
M.A.
Source : Liberté