À la prison civile de Lomé, survivre commence dès la première nuit. Pour des milliers de détenus, en particulier ceux qui ne disposent ni de ressources financières ni de protection, l’incarcération se transforme immédiatement en une épreuve de survie. Les conditions de détention, l’absence d’hygiène, la marchandisation des soins et la gestion du cabanon du CHU Sylvanus Olympio dessinent le tableau d’un système où la vie humaine semble perdre toute valeur.
I. La première nuit de détention: une épreuve de survie
Dès leur arrivée, les nouveaux détenus sont répartis dans les bâtiments réservés aux prévenus, identifiés de Prévenu 1 à Prévenu 10. En raison de la lenteur extrême des procédures judiciaires, ces bâtiments sont surpeuplés.
Les détenus y sont entassés dans des conditions inhumaines : des dizaines d’hommes contraints de rester debout, serrés les uns contre les autres, parfois pendant treize heures consécutives, de 17h à 6h du matin. Les plus chanceux peuvent s’asseoir, sans espace pour s’allonger. Ceux disposant de moyens financiers ou de statuts privilégiés parviennent parfois à dormir sur moins de trente centimètres de largeur.
Ces scènes, difficiles à imaginer, rappellent les récits les plus sombres de l’histoire de l’esclavage.
II. L’absence d’hygiène: une humiliation quotidienne
La majorité des cellules ne disposent pas de toilettes. Les détenus sont contraints d’uriner dans des seaux en plastique. Les matières fécales doivent être évacuées manuellement chaque matin par des détenus affectés aux corvées.
Lorsqu’un détenu défèque dans un seau, deux options existent:
nettoyer lui-même en achetant savon et produits, ou payer 1 000 FCFA pour que d’autres s’en chargent.
Même les besoins humains les plus élémentaires deviennent ainsi une source de marchandisation et de violence morale.
III. Mourir dès le premier jour
Certains détenus ne survivent pas à leur première nuit. Des personnes fragiles décèdent parfois en quelques heures. Un témoin rapporte avoir vu un détenu entrer en cellule à 17h et en ressortir à 22h, inanimé.
Les gardiens, postés parfois à plus de 200 mètres de certains bâtiments, n’entendent pas immédiatement les appels à l’aide. Les détenus frappent désespérément sur les portes métalliques pour signaler une urgence. Ce jour-là, il a fallu plus de quatre heures avant une intervention, trop tardive. Le corps sans vie a été évacué sur un brancard.
IV. Séquelles physiques et souffrances prolongées
Pour ceux qui survivent, les conséquences physiques apparaissent rapidement. Les positions prolongées, debout ou assises, provoquent des œdèmes sévères des pieds. Beaucoup de détenus présentent des pieds anormalement gonflés, lourds, parfois comparables à ceux d’un éléphant.
Faute de soins appropriés, certains pieds se fissurent, se déchirent, voire éclatent. Les pansements sont omniprésents dans la prison, témoins visibles d’une souffrance généralisée.
V. Une unité de soins quasi inexistante
L’unité de soins de la prison fonctionne de manière irrégulière. Le personnel médical n’intervient que les jours ouvrables et selon sa disponibilité. Les week-ends, aucun soignant n’est présent, comme si les maladies et urgences prenaient également congé.
Même en semaine, l’accès aux soins dépend largement de l’argent. Sans moyens financiers, les détenus sont ignorés. Beaucoup s’interrogent sur l’existence réelle du serment d’Hippocrate dans ce contexte.
VI. L’évacuation médicale conditionnée par l’argent
Lorsqu’un détenu doit être évacué vers l’hôpital, les agents exigent le paiement préalable de 3 000 FCFA pour le bon d’hospitalisation. Si le détenu est inconscient et que cette somme n’est pas réunie, aucune évacuation n’est effectuée. Pour faire face à ces situations, certains bâtiments instaurent des cotisations internes afin de constituer une caisse d’urgence.
VII. Le cabanon du CHU Sylvanus Olympio: un couloir de la mort
Le centre d’accueil des détenus malades, appelé cabanon, est décrit par de nombreux témoins comme un véritable couloir de la mort.
Le protocole est simple:
1. Paiement du bon d’entrée,
2. Auscultation sommaire,
3. Prescription de médicaments.
Si le patient peut payer, les produits sont achetés et le traitement commence. Dans le cas contraire, il est laissé à même le sol, sans soins, sans eau, sans nourriture.
VIII. Témoignages de morts annoncées
Un témoin rapporte le décès d’un détenu tchadien, resté quatre jours allongé au sol sans manger ni boire. Affaibli, il a demandé à manger. La nourriture commandée par un autre détenu n’est jamais arrivée à temps. Il est mort sans une goutte d’eau sur la langue.
Un autre témoignage évoque un patient resté si longtemps au sol que, lorsqu’on a tenté de le déplacer, la peau de son dos est restée collée au sol. Les soins sont arrivés trop tard.
IX. Corruption et abus au cabanon
Le personnel soignant se fait payer pour appeler les familles des détenus. Une fois l’argent envoyé, il est géré par ces mêmes agents, après prélèvement de commissions.
Certains patients affirment ne jamais avoir vu les médicaments prétendument achetés pour eux. D’autres dénoncent la monétisation du maintien au cabanon ou du retour à la prison, parfois pendant plusieurs années.
Les dons en nourriture et produits médicaux offerts par des ONG, des églises ou des particuliers sont parfois revendus aux patients. De plus, ce sont souvent d’autres détenus qui effectuent pansements et injections.
X. Répression du droit de protester
Lors du mouvement de grève de la faim des détenus politiques, l’administrateur de la prison civile de Lomé, Balaka Kossi, a refusé de réceptionner leurs courriers. D’autres lettres adressées au ministre des Droits de l’Homme et à plusieurs ambassades seraient restées sans réponse.
XI. Le silence des institutions de défense des droits humains
Une grande partie des faits rapportés peut être documentée par des images. Pourtant, des institutions telles que la CNDH, le CACIT et d’autres organisations restent silencieuses. Pour de nombreux détenus, ces structures se contentent de tirer profit de leur souffrance pour justifier des budgets, sans résultats concrets visibles sur le terrain.
Conclusion
La gestion des détenus malades à la prison civile de Lomé et au cabanon du CHU Sylvanus Olympio révèle un système marqué par l’inhumanité, la corruption et l’abandon. Ce témoignage appelle à une enquête indépendante, à des sanctions et à une réforme urgente, afin que la détention ne soit plus une condamnation à mort déguisée.
La voix des sans-voix de tous les détenus politiques et de droit commun au Togo
















