Selon les services de renseignements béninois, le chef des putschistes qui a tenté de renverser le président Patrice Talon le 7 décembre a d’abord pris la fuite via le Togo, avant de quitter Lomé pour un autre pays de la région où ils estiment l’avoir localisé.
Par Jeune Afrique
Publié le 18 décembre 2025
Un peu plus de dix jours après sa tentative de coup d’État manquée contre Patrice Talon, le lieutenant-colonel Pascal Tigri est toujours officiellement introuvable. Le leader des mutins est parvenu à s’enfuir, dimanche 7 décembre, dans des conditions qui sont au cœur des investigations des services de renseignements du Bénin. Cotonou a désormais de fortes présomptions sur le lieu de repli de l’ancien chef des Forces spéciales béninoises, le parcours qu’il a emprunté et les personnes avec lesquelles il a été en contact dans plusieurs pays voisins.
Pour les services béninois, c’est une quasi certitude: Pascal Tigri a d’abord fui au Togo dès le 7 décembre. Trois jours plus tard, le mercredi 10 décembre, la Direction des services de liaison et de documentation (DSLD, services de renseignements du Bénin) dirigée par le capitaine de corvette Orphée Hounkanrin, a adressé une demande formelle à ses homologues de l’Agence nationale des renseignements (ANR) togolaises, que Jeune Afrique a pu consulter, sous la forme d’une « sollicitation d’un appui en vue de la remise de militaires en cavale ».
Un premier point de chute au Togo
Dans ce document, les renseignements béninois affirment que leurs investigations « révèlent que quatre militaires béninois ayant pris part activement au coup d’État manqué du dimanche 7 décembre à Cotonou se sont réfugiés sur le territoire de la République du Togo ». Parmi eux, le lieutenant-colonel Tigri, dont la DSLD a pu retracer le parcours grâce à son téléphone. Par le même biais, les services de renseignements ont pu déterminer qu’un numéro portant un indicatif togolais a « tenté d’entrer en contact avec Pascal Tigri […] le 7 décembre à 14 h 36, heure de Cotonou ».
C’est sur cette base que la DSLD a ensuite réclamé à l’ANR togolaise son « appui en vue de l’interpellation puis de la remise de ces militaires en cavale aux autorités béninoises ». Une demande qui, pour l’heure, n’a pas obtenu de réaction de la part des autorités togolaises. Sollicitées à plusieurs reprises par Jeune Afrique depuis le 10 décembre, celles-ci n’ont jusqu’ici pas formulé de réponse officielle quant à la présence – ou au transit – supposés du lieutenant-colonel béninois sur leur territoire.
Selon nos informations, les services béninois ont également intercepté plusieurs communications sur le téléphone de Pascal Tigri au cours de la journée du 7 décembre. L’existence de ces écoutes, toujours en cours d’analyse par les agents de la DLSD, a été confirmée à JA par une source judiciaire béninoise.
Logé dans une résidence à Niamey
L’un des appels intéresse tout particulièrement les enquêteurs : un échange de Pascal Tigri avec un correspondant au Niger. À Cotonou, de nombreuses sources politiques et sécuritaires ont de très forts soupçons portant sur l’implication, au moins indirecte, de Niamey dans la tentative de coup d’État. Les autorités béninoises considèrent désormais comme « très probable » que Pascal Tigri, après s’être réfugié au Togo où il résidait dans le quartier de Lomé 2 non loin de la présidence, s’est ensuite rendu au Burkina Faso avant de poursuivre son chemin vers le Niger où il se trouverait actuellement.
L’une des hypothèses jugées les plus crédibles à Cotonou, confirmée également à Jeune Afrique par plusieurs sources nigériennes, est que Pascal Tigri aurait pris place à bord d’un avion privé, le vendredi 12 décembre, reliant Lomé à Ouagadougou. Le Beechcraft 100 D appartenant à la société Liza Transport International (LTI) Aviation, compagnie aérienne filiale d’Ebomaf, société dirigée par l’homme d’affaires burkinabè Mahamadou Boukoungou, n’avait pas indiqué de destination finale au moment de son départ de Lomé. Il a atterri finalement à Ouagadougou en fin de journée, le 12 décembre.
Pascal Tigri aurait ensuite été transféré à Niamey, toujours par avion, dans la soirée du 12 décembre. Il résiderait actuellement dans l’une des villas ministérielles de la capitale nigérienne, situées à proximité de la présidence nigérienne et de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE, les services de renseignements nigériens). Ces villas abritent plusieurs des membres les plus importants du gouvernement nigérien, dont le Premier ministre Lamine Zeine, ainsi que des conseillers étrangers, notamment russes.
La présence supposée de Tigri à Niamey a également été avancée auprès de Jeune Afrique par plusieurs sources nigériennes non officielles. Sollicitées à plusieurs reprises entre le 10 et le 18 décembre, les autorités nigériennes n’ont en revanche pas souhaité faire de commentaires sur les soupçons du Bénin et sur la présence du lieutenant-colonel Tigri sur leur territoire. Le gouvernement nigérien n’a fait aucune communication officielle depuis la tentative de putsch ayant eu lieu chez son voisin béninois.
Les autorités béninoises soupçonnent que plusieurs autres mutins en fuite, qui se trouvaient également à Lomé, ont quitté le Togo le mardi 16 décembre dernier, toujours à bord d’un avion de la compagnie LTI. Les autorités béninoises ont été alertées par le fait que cet avion, parti de Lomé, avait coupé son transpondeur au moment où il est entré dans l’espace aérien béninois. Il ressort, toujours selon une source gouvernementale béninoise, que les vérifications menées auprès de l’Agence nationale de l’aviation civile ont révélé que ce vol avait utilisé une « fausse autorisation de l’ANAC ».
L’AES soupçonnée d’ingérence
Ces informations viennent alimenter les soupçons de nombreuses sources béninoises sur l’implication présumée du Niger dans la tentative de coup d’État. Les relations entre Cotonou et Niamey sont plus que tendues. Le général Abdourahamane Tiani a, à plusieurs reprises, accusé son homologue Patrice Talon de tentative de déstabilisation. Le président de la transition nigérienne a notamment affirmé que le Bénin servait de refuge à des groupes terroristes sévissant au Niger, « avec le soutien de la France ».
Par ailleurs, les messages vidéo postés dès les premières heures de la tentative de putsch par Kemi Seba, conseiller spécial du président Tiani, pourraient, selon plusieurs de nos sources, être le signe que l’activiste avait été informé en amont. La justice béninoise a émis un mandat d’arrêt international à l’encontre de l’activiste souverainiste – et de Sabi Sira Korogone, président du Mouvement populaire de libération (MPL) – pour des faits d’« apologie du terrorisme » et d’« incitation à la révolte ».
D’autres éléments alimentent les suspicions de Cotonou envers le Niger. Des mouvements inhabituels de troupes et de camions ont ainsi été observés le 6 décembre, à la veille de la tentative menée par le lieutenant-colonel Tigri, du côté nigérien de la frontière entre les deux pays, que Niamey maintient fermée depuis l’accession au pouvoir d’Abdourahamane Tiani en juillet 2023. En l’absence de communication officielle de Niamey, ces manœuvres restent aujourd’hui inexpliquées. Sollicité par Jeune Afrique, le gouvernement nigérien n’a pas fait de commentaires.
Plusieurs sources sécuritaires et politiques béninoises considèrent enfin que « l’écosystème » de guerre informationnelle mis en place par le chef de l’État burkinabè Ibrahim Traoré – dont le visage le plus emblématique est l’activiste Ibrahima Maïga – a été mis au service des mutins, multipliant fake news et appels à la révolte pendant toute la journée du 7 décembre au cours de laquelle le destin du pays a failli basculer.
Un enregistrement audio en possession des services béninois tendrait même à démontrer, selon une source proche de Patrice Talon y ayant eu accès, que Ouagadougou aurait joué le rôle de « tour de contrôle au plus haut niveau » de la tentative de putsch, en coordination avec Niamey.
Lors d’un entretien accordé le mardi 16 décembre à JA, un ministre béninois a confirmé ces forts soupçons envers les juntes de l’Alliance des États du Sahel (AES), s’en remettant cependant aux conclusions à venir des enquêtes en cours. « Nous sommes face à une situation d’agression. Il y a des règles, en droit international. S’il est prouvé que Pascal Tigri s’est trouvé à tel ou tel endroit, ce serait évidemment extrêmement grave », expliquait gravement ce ministre. Avant d’ajouter: « Nous sommes un peuple combatif, nous ne nous laisserons pas faire. »














