« Que diable fait le Togo sur la liste rouge du gouvernement américain », serait-on tenté de dire, pour paraphraser Molière dans sa pièce de théâtre les Fourberies de Scapin.
Depuis le 26 novembre 2025, le Togo, au même titre que 18 autres pays d’Afrique et d’Asie se trouve au cœur d’une tourmente. La cause : un durcissement des mesures d’immigration américaine visant les personnes nées ou détenant un passeport togolais (demande d’asile, demande de regroupement familial, demande d’ajustement de statut, demande de citoyenneté entre autres).
Le durcissement, nous dit-on, est consécutif à un attentat mortel perpétré par un demandeur d’asile Afghan contre deux membres de la Garde Nationale américaine. Dans la foulée, l’équipe Trump qui guettait les occasions pour justement durcir les conditions d’immigration a trouvé le prétexte idéal, le boulevard qu’il attendait depuis longtemps pour « en finir avec » l’immigration sous toutes ses formes, surtout provenant des pays qu’il avait qualifiés de « trous de me.r.de» pendant son premier mandat.
Parmi les 19 pays situés sur la liste rouge depuis le 4 juin 2025 (Proclamation Présidentielle 10949), on retrouve des pays officiellement ennemis ou « pas amis » des Etats-Unis (Iran, Cuba), des pays complices ou passifs face aux réseaux terroristes (Afghanistan, Yémen), des pays sans autorité centrale, en proie ou sortant des conflits (Birmanie, Haïti, Libye, Somalie, Soudan, Yémen, Congo RDC), mais aussi les pays connus pour leur niveau de répression, de laxisme administratif et de corruption si élevé que des réseaux terroristes pourraient les utiliser pour entrer aux États-Unis (Guinée Équatoriale, Tchad, Congo Brazzaville, Érythrée, Laos, Burundi, Turkménistan, Vénézuéla et …le Togo).
Toutefois, sur les réseaux sociaux, c’est la présence du Togo sur la liste rouge qui interroge, ou fait jaser. Pour les quelques Américains qui s’intéressent à l’Afrique, la dernière fois qu’ils ont entendu parler du Togo c’était en 2005, suite à l’épisode sanglant et tragi-comique de la prise de pouvoir par Faure Gnassingbé.
Selon le gouvernement du président américain, le Togo s’y retrouve pour une et une seule raison : le taux élevé de dépassement de la durée de validité de visa non immigrant, c’est-à-dire le fait que les détenteurs du passeport togolais qui sont en visite de plaisance ou d’affaires, ainsi que ceux qui viennent pour les études ou des programmes d’échanges universitaires et professionnels restent au-delà de la durée de séjour qui leur est accordée, violant ainsi les termes du visa de séjour dont la durée est plus courte que celle du visa d’entrée délivré par l’ambassade américaine.
Contrairement à d’autres pays dont l’entrée des ressortissants aux Etats-Unis est suspendue pour des raison de soutien au terrorisme, de manque de système de vérification d’identité, de manque de système de vérification d’antécédents criminels, d’implication des ressortissants dans les réseaux criminels existants aux Etats-Unis, de non-coopération avec les autorités américaines concernant la reprise de leurs ressortissants expulsés, la raison invoquée pour le Togo est le taux de dépassement de la durée de validité des visas visiteurs (19%) et étudiants (35%). Pour les autorités américaines, le dépassement « alourdit la charge de travail des services d’immigration et des services de sécurité américaines et exacerbe souvent d’autres risques liés à la sécurité nationale et à la sécurité publique. »
La décision s’est basée sur les données de l’année fiscale 2023 (1er octobre 2022 — 30 septembre 2023), l’année au cours de laquelle, malheureusement, les taux de dépassement des ressortissants du Togo sont demeurés particulièrement élevés pour la deuxième année consécutive : 24% en 2022 et 19% en 2023 pour les visas visiteurs (business, plaisance B1/B2); 33% en 2022 et 35% en 2023 pour les visas étudiants et échanges (F/M/J).
Au même moment, le taux de dépassement des visas par les ressortissants de nombreux pays, y compris les voisins du Togo, a chuté considérablement pendant l’année fiscale 2023, année dont les données ont été mises en avant par l’administration Trump : pour les visas visiteurs, le taux est passé de 36% en 2022 à 12% en 2023 pour les ressortissants du Burkina Faso ; de 20% à 12% pour les ressortissants du Bénin ; et de 10.5% à 7.5% pour les ressortissants du Ghana. Le taux de dépassement des ressortissants du Nigeria est passé de 21% en 2022 à 7% en 2023. Pour les visas étudiants et échanges universitaires, le taux de dépassement par les ressortissants du Burkina Faso est passé de 46% en 2022 à 25% en 2023 ; celui du Benin de 31% à 33.5% ; le Ghana de 18.3% à 21% et celui du Nigeria de 21% à 16%.
Si l’administration Trump avait tenu compte des données historiques ou de la moyenne des taux de dépassement de validité de visa entre 2015 et 2023 (années pour lesquelles les rapports sont publiés en ligne), le Togo n’y figurerait pas, car sa moyenne serait autour de 12-13% pour les visas visiteurs, et 22% pour les visas étudiants, bien en deçà du plafond utilisé par les autorités américaines. Pour cette raison, on peut soutenir que la présence du Togo sur la liste rouge relève d’une « malchance nationale.»
Maintenant que l’on a expliqué la situation tenant compte des raisons officielles invoquées par les autorités américaines, on peut se demander pourquoi les taux de dépassements de durée de visas par les ressortissants togolais sont-ils montés en flèche à partir de 2022 ? Les révélations de Ferdinand Ayité sur un scandale de délivrance douteuse de pièces d’identité togolaise à des individus sans scrupules suffisent-elles à expliquer cette hausse spectaculaire du dépassement de validité de visa par les ressortissants togolais? C’est possible, d’autant plus que les réseaux criminels ont cette habitude de flairer les faiblesses administratives et de tirer avantage pour étendre leurs tentacules, surtout par la corruption de l’appareil d’État. Il appartient aux autorités togolaises de donner des gages qu’ils ont un dispositif administratif qui résiste à une infiltration par ces réseaux.
Les contraintes socioéconomiques et politiques de l’après-COVID sont un facteur important. De 11.5% en 2019-2020 (avant le Covid), le taux de dépassement de validité est passé à 24% en 2022 pour les visas visiteurs ; idem pour le dépassement de validité des visas étudiants qui est passé de 11% à 33% ! Les données des pays limitrophes du Togo montrent la même tendance, à l’exception du Ghana pour les visas visiteurs. Si l’on explique le dépassement de la durée de validité de visas pour des raisons (en grande partie) de nécessité économique, l’on ne peut que tirer une conclusion : depuis la fin de la COVID, les Togolais sont si désespérés dans leur propre pays qu’ils choisissent de vivre loin de chez eux, même au risque d’enfreindre les lois de leurs pays d’accueil et de s’attirer la colère des autorités de ces pays. C’est une véritable malchance nationale que d’être soumis à une gouvernance qui n’offre rien d’autre que la paix des cimetières et l’exil.
NB : Toutes les données sont arrondies par nous et tirées du rapport annuel que le ministère américain de l’intérieur présente chaque année au Congrès. (Department of Homeland Security : Entry/Exit Overstay Report Fiscal Year Report to Congress).
A. Ben Yaya
New York, le 6 décembre 2025















