L’une des expressions considérées comme tabou en Afrique est celle de transition politique.
Et pourtant les faits sont têtus et ils indiquent que la peur d’ utiliser cette expression résulte d’une mauvaise représentation ou conception de la transition. Le désir de vouloir cacher le soleil avec la main, véritable politique de l’autruche adoptée par une catégorie de personnes, met en effet en face de nous deux acteurs: les gouvernants et les gouvernés.
Phénoménologiquement et de façon constante ceux qui redoutent l’usage de l’expression transition politique sont les tenants de l’ordre établi. Ce sont ceux qui sont au pouvoir avec les privilèges qu’ils ne veulent pas perdre. Et à leurs oreilles, la simple résonance du mot transition est source de psychose et de menace pour leurs privilèges. Ainsi la perte du pouvoir est devenue un danger.
Mais, de façon paradoxale, la majorité des peuples dans les pays africains ont à la bouche le mot transition. Depuis des années, les peuples crient ce mot, organisent des manifestations pour réclamer une transition politique mais hélas. La minorité qui gouverne, utilise la force pour réprimer. Mais, plus les années passent l’évidence refusée devient de plus en plus incontournable car la transition se dévoile comme une capacité de réorientation pour toute une communauté et comme le chemin de progrès collectif. De ce fait, admettre la réalité de transition c’ est nous donner une chance de nous réinventer collectivement depuis les indépendances où nous avions cru à l avènement d’ une ère de liberté transformatrice de notre être politique pour un bonheur partagé qui fait vibrer toutes les dimensions de notre être.
De « L’ Afrique noire est mal partie » de René Dumont à « L’ Afrique est l »avenir du monde.
Repenser le développement » de Carlos Lopez en passant par « L’ Afrique malade d’ elle – même » de Tidiane Diakité, de « L’ Afrique va- t-elle mourir’’ de Kä Mana, de « L’ Afrique malade de ses hommes politiques » de Robert Dussey, de « L’ Afrique au secours de l’ Afrique » de Sanou
Mbaye, de ‘‘L’urgence africaine. Changeons de modèle de croissance’’ de Kako Nubukpo, une réorientation pour l’ Afrique est incontournable pour redonner à ce continent son éclat. Le livre de Maurice Kamto, « L’ urgence de la pensée » a posé le diagnostic : » je vois dans l’embastillement de la pensée, la raison première de l’ enlisement de nos sociétés dans l’ ornière du non- développement… Le sommeil de la raison a fait le lit de l’ unanimisme et il n’ y a pas de place à l’ alternative. »
Donner une véritable place à l’alternative ce n’ est pas se contenter de ruses inventées depuis plus de trois décennies par la peur entretenue sur l’expression transition politique qui signifierait, pour les tenants de l’ordre établi, l’ acceptation d’ un échec. L’échec, en effet, fait partie de la vie et selon la sagesse humaine, l’on apprend des échecs.
Dans cette optique, la décolonisation souhaitée doit commencer par celle de nos représentations sur l’expression transition politique et elle nous permettra alors une décolonisation réussie envers l’Occident.
La ruse historique des gouvernants africains qui, après La Baule (1989), a consisté à l’ organisation d’enquêtes truquées pour montrer aux autorités françaises que tout va bien et que les pays africains n’ ont pas besoin de démocratie, nous a desservi et surtout elle montre actuellement que la dépollution de nos esprits est l’ une des conditions fondamentales pour un nouveau départ de nos pays et de notre continent.
Pour avoir raté dans les années 90 la nécessité de penser et d’admettre une vraie transition politique, qui redéfinit les bases de notre vivre-ensemble, l’ histoire nous a offert encore une
chance, l’ échec des régimes dits démocratiques dans les trois pays du Sahel qui sont revenus à de période de transition avec l’ idée des assises nationales. Et pourtant ces pays avaient eu des présidents dits démocratiquement élus. Ce n’ est pas la démocratie qui est en cause, car elle n’existe pas encore, mais c’ est la manière de gouverner qui n’a pas changé dans ces régimes établis de façon formelle et qui ne transformaient pas le quotidien des citoyens.
Il existe encore beaucoup de pays africains où le formalisme démocratique est en vigueur. Et ce formalisme ne transforme rien.
Après la ruse de 1989-1990, nous avons inventé une autre, celle du troisième mandat avec la théorie du compteur à Zéro qui passe par la révision de la Constitution.
Et enfin une autre ruse a vu le jour : passer de la révision de la Constitution à son changement(la re-écriture d’une nouvelle Constitution) sans associer le peuple.
Tous ces détours ont une même racine le refus d’ une transition politique pensée comme une exigence existentielle.
La transition politique n’est pas contre quelqu’un, elle est une opportunité pour la co-existence pacifique, innovante et revalorisatrice. Elle ne brandit pas l’épouvantail de l’ennemi mais elle permet d’ aller, au-delà des déchirures, à la reconnaissance de chacun de chacune et des forces vives pour être une communauté qui se pense et se projette dans le temps c’est-à-dire une communauté qui se met en projet. La transition aura pour tâche de re-penser le rêve de bien vivre dans nos pays qui ont beaucoup de ressources naturelles et humaines, nos pays où l’on aime célébrer la vie et ainsi nous consacrerons le principe et la défense de la sacralité de la vie en devenant des gardiens des uns des autres, en luttant contre des assassinats sous ses diverses formes, en rejetant l’instrumentalisation des autres comme des moyens pour des ambitions politiques. La transition sera aussi le temps de réflexion lucide sur notre être-au-monde dans la géopolitique, ce que Kä Mana a appelé la reliance dans un esprit de liberté. Elle aura enfin pour mission de nous relier à notre passé avec des figures que nous devons célébrer dans la longue recherche d’une Afrique unie et valorisée et ce faisant le panafricanisme serait unedynamique constructive.
Alors, et si la transition devenait pour les pays africains une véritable période pour mieux penser les institutions afin de mieux rebondir? Et si les pays africains se donnaient une chance d’ être le continent d’ avenir?
( RJC, Ekoué FOLIKOUE)