« Une place pour les rêves. Mais les rêves à leur place ». Dans Etat de veille, Robert DESNOS nous apprend que la conjecture, la supposition et les affabulations sont toujours possibles pour qui veut demeurer dans le déni de réalité ou qui veut déconstruire l’histoire dans les manœuvres de l’ambition. Il est tout à fait impossible de leur interdire le défoulement de l’esprit dans des errances les plus spectaculaires. Mais, le déroulement de la vie de chaque peuple qui aspire à la grandeur est modelé par de grands esprits qui ont une disponibilité combative qui recouvre une dimension de don de soi pour rendre service à la communauté. Ceux qui élèvent leur peuple au sommet de la gloire sont des hommes d’exception. Ils laissent leurs indélébiles empreintes sur leur temps, leurs œuvres nourrissent d’inspiration référentielle des générations entières et leurs continuateurs tirent des cristaux d’un certain carat de leur dimension pour illuminer les principes d’évolution dont les républiques ont besoin pour grandir.
Il faut savoir une fois pour toutes que ce ne sont pas les noms qui font l’histoire. Mais, c’est la grandeur de ceux qui les portent, et leurs noms deviennent des symboles. Que vaut une société, une république, une nation sans les symboles des épopées de la temporalité et les mythes constructeurs ?
Tous ceux qui ont œuvré pour que les cathédrales de l’histoire tombent n’ont jamais réussi à détruire la foi en des hommes de valeur qui ont creusé les sillons de l’espérance populaire. L’immortalité ne se décrète pas. Elle n’est non plus assurée par des artifices de la grandeur. Elle s’impose d’elle-même par l’autorité des hauts faits assumés par la vaillance particulière de l’audace qui détourne les torrents de l’histoire pour fertiliser les terres sèches de liberté, de mieux-être.
Seules les petites gens s’échinent à s’attaquer aux symboles pour des ambitions dévorantes qui consument leur esprit et les jettent dans les ténèbres. La puissance des faits historiques qui ont ouvert le boulevard de l’identité des peuples est implacable. Elle écrase les adversités conjoncturelles de mauvaise conscience, les bourdonnements cyniques de mauvaise foi. Eyadéma l’a appris à ses dépens. Jamais, il n’a réussi à reléguer Sylvanus Olympio dans la sépulture de l’histoire. Trente huit années passées à déconstruire la taille du Père de l’Indépendance togolaise, Père de la Nation ont été couronnées d’échecs. Ce ne sont pas les Nationalistes ou ceux du CUT qui sont à la manœuvre de la résistance pour faire perpétuer une vie d’exemplarité. Le parcours de l’homme, son intelligence, sa probité dans la gouvernance, son exemplarité de gestionnaire, son sens de responsabilité, ses mérites, sa personnalité, son inclination pour le peuple du Togo et sa grande vision de l’avenir avec ses projets mûris qui traversent le temps en sonnant le gong de la réactivation ont assuré au Père de la Nation une immortalité.
Il y a une tentative vaine à vouloir éteindre le rayonnement de Sylvanus Olympio sur l’histoire de notre pays. Les grelots politico-littéraires, les bibelots médiatico-exhibitionnistes des prétentieux qui tentent de mettre sur l’échafaud la mémoire de la Grande âme de l’indépendance du Togo sont dans un prisme effarant de l’histoire et leurs grossièretés de schématisation du cours de l’histoire politique de notre pays les exposent sans les imposer. Habiller le combat politique au Togo d’une tauromachie où les Nationalistes et les Progrès seraient dans une arène éternelle de mise à mort des uns et des autres serait passer sous silence la délinquance politique des aventuriers et leur crime crapuleux de régicide. Le PTP et l’UCPN n’ont jamais participé de près ou de loin à l’assassinat d’Olympio. Les sales crapules qui l’ont froidement éliminé ont pioché dans tous les courants politiques pour se badigeonner une légitimité, surtout dans un parti-Etat appelé pompeusement creuset national.
N’ya-t-il pas une falsification de l’histoire à vouloir confiner le combat politique au Togo dans une vue simpliste strictement bipolaire qui se réduirait au combat meurtrier entre les Nationalistes et les Progrès ?
Cette thèse d’affrontement permanent entre ces deux courants n’est-elle pas particulièrement échafaudée pour en tirer des dividendes d’une troisième voix dont le « Togo Autrement » serait le gagnant ?
Les thèses d’intérêt personnel ne sont-elles pas pernicieuses, trop prétentieuses et dégoûtantes pour mériter quelque considération ?
Est-il possible de construire une société viable sans les symboles, sans un devoir d’exemplarité, sans des sources d’orientation ?
1) Les hommes et l’histoire
Il faut se rendre à l’évidence que l’adversité dans le combat politique est une normalité pour ne pas en faire un drame absolu et en tirer les inférences maladroites et trompeuses. Par conséquent, la violence de l’adversité entre le groupe des Progrès et le bloc des nationalistes intègre une normalité républicaine. Cet affrontement dans la genèse de la Nation togolaise ne saurait constituer une fixation dans l’interprétation de l’évolution politique de notre République. Les apparentements CUT-JUVENTO contre le PTP-UCNP n’ont été que dans l’ordre d’une stratégie politique dans le mouvement de l’Indépendance. On ne saurait leur en mettre une élasticité de couverture sur toute la période du parti unique jusqu’à l’ouverture démocratique et au-delà. Pourquoi ?
Le fait politique est un fait social. Et tout fait social est global, total et dynamique. Les hommes ne sont pas une fixité éternelle pendus à des courants sans condition, même quand la noblesse de la cause défendue tourne à une vacuité ou à une trahison. La nomenclature politique au Togo est d’une dynamique plus complexe, plus riche, plus étoffée qu’une simple lamelle de considérations parcellaires et réductrices d’une aventure sophistique édifiée en une forme d’analyse catégorielle de cramponnement inamovible. Il faut éviter de se moquer des Togolais en les traitant de minables assis dans des cathédrales branlantes et sclérosées pour se condamner à un accident dramatique prompt à les ensevelir.
A proprement parler, l’assassinat crapuleux de Sylvanus OLYMPIO relève de la délinquance de voyous dévorés par l’ambition, qui ont érigé une gouvernance de la criminalité par la rapine, la violation des droits humains et l’ethnicisme outrancier qui ont fédéré une adversité incisive, une mobilisation plantureuse tant sur le plan national qu’au niveau de la diaspora. Dans le rebond massif de réclamation des droits individuels et collectifs des années 90, celui qui peut oser sérier les Progrès des Nationalistes est d’une tragédie d’encéphalopathie ou peut-être rongé par un scorbut de l’esprit. Les Togolais sont d’une lucidité à défendre les causes nobles et ceux qui les portent dans un partage de vision assumée en toute responsabilité dans l’adresse de l’intelligence et la loyauté de l’action. Ce contre quoi se dressent irrésistiblement les Togolais demeure la criminalité de gouvernance, le mépris de la loi, de la Constitution, du code électoral, le holdup électoral étayé par la force brutale, la menace de la force …La réprobation républicaine contre les pervers politiques au Togo recouvre une dimension citoyenne. Elle n’est surtout pas une insurrection des Nationalistes contre le courant des Progrès.
Eyadema, son fils, le RPT¨/ UNIR n’ont aucune considération pour les progrès, encore moins pour les Nationalistes. Ils jouent à chaque étape, à chaque instant leur va-tout pour s’attirer des alliés de tous bords qui puissent les aider à conserver le pouvoir. Leur prêter des habits de « Progrès » serait d’une prestidigitation argumentaire d’un cran décroissant, terriblement puéril.
De même, baver d’une contorsion argumentaire par un cantonnement de l’Opposition dans les cloisons étanches des Nationalistes, serait détourner la réalité de la lutte au Togo pour l’enfuir dans une floraison mensongère et tendancieuse qui manquerait de respect pour la communauté nationale, son intelligence de choix. Les Togolais ont une inclination non pas pour les noms et les courants, mais pour ceux qui tiennent fermement la flamme de leur combat pour la liberté, l’égalité des citoyens, le mérite, la justice, la construction de leur idéal de cité du partage, de respect mutuel et d’espérance.
La fronde politique contre le régime Eyadema est contre celui de son fils n’est pas dans un rappel des Nationalistes. La CDPA, par exemple, a longtemps existée dans la clandestinité au moins quinze années avant l’ampleur du mouvement insurrectionnel de 90 contre le régime RPT. Il y a eu un regain d’Opposition au régime Eyadema, dès qu’il s’est emmuré dans la cruauté et l’arbitraire, sans aucune filiation avec l’animation politique des enfants d’OLYMPIO. Sans aucun travail intellectuel sur des groupes à foison qui crachaient leur venin contre la dictature militaire, une généralisation hâtive étiquetée de Nationalistes coiffe la conjecture de légèreté d’un homme qui se divertit à une analyse politique de prétention. Il s’époumone à déraciner par l’incantation médiatico-exhibitionniste ce qu’il nomme des « symboles sclérosés » de la conscience collective comme si les grandes âmes des nations pouvaient succomber sous des tirs isolés des gens perdus dans le désert de leurs prétentions.
L’histoire a ses monuments, ses documents, ses vestiges qui maintiennent les hommes d’exception dans le triomphe de l’éternité. NAPOLEON Bonaparte a imprimé aux français l’esprit de conquête et de grandeur de la France. Sans lui, Charles DE GAULLE n’aurait pas existé dans l’histoire de ce pays. Professeur d’Histoire à l’école militaire Saint-Cyr, De Gaulle a été transfiguré par la dimension de NAPOLEON dont il a pris des éléments de référence pour élever la France sans jamais flétrir son honneur, sa grandeur. Quelle folie pour un détraqué politique de demander aux français de se passer d’un symbole comme Charles DE GAULLE ? Quel abaissement pour un homme de demander aux Sud-Africains de se départir de MANDELA ? Quelle sottise de rêve d’inciter les ivoiriens à mettre sur l’échafaud HOUPHOUET ? Faire croire aux Togolais qu’ils gagneraient à sortir du symbole que représente Sylvanus OLYMPIO est une errance argumentaire d’un «essayiste» étonnamment partiel et indéfendable.
2) Les conséquences non transcendées d’un assassinat
Le mal Togolais. Quelle solution ? de Fulbert Sassou ATTISSO a mal circonscrit la question togolaise, la politique de la criminalité, de la délinquance qui s’adosse à la violence, aux armes, aux fausses réconciliations, aux parjures, au pillage des ressources nationales sans une velléité de remise en jeu du pouvoir d’Etat. Cette mafia de régence publique ne trie pas ses victimes. Elle n’est d’aucune préférence des catégories socio-professionnelles. Elle ne s’appuie non plus sur aucune stratification sociale, aucun courant autre qu’une armée modelée à l’ethnicisme outrancier dont elle se couvre pour massacrer tous ceux qui se mettent en travers de son chemin pour des réclamations légitimes et républicaines. Penser que cette mafia se nourrit d’un courant politique autre que le repli identitaire et des amitiés de circonstance des gens assoiffés d’ambition, de jouissances véreuses, c’est manquer d’une appréciation saine du déroulement de la vie de notre cité depuis la prise du pouvoir par la dynastie GNASSINGBE.
La France a voulu se débarrasser coûte que coûte d’un homme qui ne sait pas courber la tête et qui sait très bien foutre un gros complexe aux officiels de la métropole par son esprit d’indépendance, sa dignité d’homme, son goût prononcé pour l’intérêt à son peuple, et qui sous aucun prétexte, n’accepte l’idée d’un Etat-comptoir inféodé à un « empire français »après l’indépendance. La France s’est emmurée dans le concept de petit nègre qui sied à un soldat inculte et brutal qu’elle a protégé de toutes ses forces avec une illusion d’enfouir dans l’oubli la grande épopée d’un peuple conduit par un homme d’un charisme éblouissant. Eyadema a parfaitement mis les gangs de la Françafrique pour avoir un soutien inconditionnel du simple fait qu’il accepta de jouer le mauvais rôle dans l’assassinat du père de la Nation pour dissiper la culpabilité française dans un drame épouvantable qu’est l’assassinat d’un chef d’Etat d’un pays étranger.
La France a fabriqué un pervers moral qui, dans sa personnalité basique, avait beaucoup de disposition et de relents de criminalité au regard de ses propres déclarations de fierté au journal Paris Match sur l’élimination physique d’OLYMPIO. Le pervers, fort d’un soutien sans faille de la Françafrique, le plus long scandale de la République, à en croire l’analyse de François-Xavier VERSCHAVE, s’est transmuté en un monstre froid sans la moindre tentative d’une filiation ou d’un apparentement à quelque courant que ce soit. Le RPT, la branche d’habillage politique de son régime militaire, autoritaire et criminel que GNASSINGBE II a voulu badigeonner pour se faire plus fréquentable dans son substitut flatteur et trompeur péremptoirement baptisé UNIR sans que le visage lugubre ne quitte les pratiques ténébreuses du même ensemble, est un parti entièrement à part.
Eyadéma était devenu un fou du pouvoir. Comme le souligne ALAIN dans Le Politique : « Tout pouvoir sans contrôle rend fou ». Son fils qui nous a déclaré qu’il assume la continuité testamentaire du règne de son père n’a jamais pensé une filiation avec un courant politique de soutien d’obédience PTP-UCPN.Il est exclusivement dans la hantise pulsionnelle, comme son père, d’éloigner par tous les moyens tous ceux qui se hasardent à lorgner son fauteuil, l’héritage de l’immoralité.
Après l’assassinat de Sylvanus Olympio, des hommes sans mérite, des médiocres supérieurs, par la force des armes se sont taillé la part du lion dans la richesse nationale. Les avantages tirés de ce positionnement les enivrent de jouissances inespérées pour refuser toute perspective de changement, de relégation de leurs privilèges odieux. Il s’agit de la « fameuse minorité » dont, par lapsus, Faure GNASSINGBE nous parlait dans un discours à la Nation avec un aveu d’échec, une impuissance d’autorité.
Le gouffre identitaire et la pléthore ethniciste de commandement militaire sécrètent le venin qui tue la mutation heureuse de notre pays dans la modernité démocratique au compteur d’élections propres, incontestables. La solution au « mal togolais » est dans l’Accord Politique Global (APG) et nulle part ailleurs dans une errance conceptuelle d’une troisième voix qui serait au bénéfice d’un « Togo autrement ». Il faut œuvrer à l’application pleine, entière et totale de l’APG, parce qu’il s’agit d’un consensus républicain à défendre par la communauté nationale. Nous nous apercevons dans les envolées sophistiques du rhétoricienSassou ATTISSO qu’il se passe de toute objectivité dans une inconsistance argumentaire pour une proposition de solution à la chapelle d’un « Togo autrement ». Charles NODIER, dans les Fantaisies et légendes précise : « On va loin quand on ne sait où l’on va, et qui ne voit le but le passe ».
Ce ne sont pas les Progrès qui ont organisé le coup de force électoral du 25 avril 2015, ni l’attaque du CESAL pour détruire les procès-verbaux et confisquer les ordinateurs de compilation des résultats. Quel courant de soutien pouvait-on lire dans les massacres d’un millier de Togolais en avril 2005 ? Où sont les « Progrès » qui ont participé au brigandage contre la Conférence nationale et à l’attaque avec des armes de guerre de la Primature ?
Le problème est déjà analysé et mis en équation. Les termes d’équilibrage sont connus ; ils sont dans l’APG. Interrogeons-nous sur notre conscience coupable dans le combat de mise en œuvre de ce consensus national. Quand un mal est diagnostiqué, connu autant que ses remèdes, le luxe de perdre son temps à trouver autre chose s’apparente à une hystérie complexuelle d’un homme perdu dans le désert.
Didier Amah DOSSAVI