« Mal nommer les choses c’est augmenter la souffrance du monde », Albert Camus.
Le lundi 25 novembre 2025, les députés à l’Assemblée Nationale ont commencé l’étude au fond de la loi des finances exercice 2026. Une fois encore, les habitudes de la maison n’ont pas changé. Les travaux ont commencé dans les mêmes conditions, à savoir le non-respect du timing préconisé. Seulement deux semaines pour faire un travail de trois mois, sans la connaissance et la maîtrise de la documentation nécessaire.
Depuis 2020, avec la feuille de route gouvernementale et son prolongement à travers le nouveau cycle institutionnel du Document de Programmation Budgétaire et Économique Pluriannuel (DPBEP) 2025-2027, la transparence dans les exercices budgétaires est la chose la moins partagée.
Les caractéristiques du budget exercice 2026
Chaque année, le gouvernement annonce l’augmentation du budget sans insister sur le taux d’augmentation de la dette. C’est à se demander si c’est la dette ou ce sont les recettes budgétaires qui tirent le budget vers le haut. La preuve, pour une augmentation du budget 2026 de 14 % par rapport au budget 2025, le taux d’augmentation de la dette en six mois est de plus de 14 %, c’est-à-dire du 31 décembre 2024 au 30 juin 2025, la dette publique est passée de 4069 milliards à 4631 milliards soit dans les mêmes conditions que l’augmentation du budget.
La composition des recettes de l’État pose également une anomalie difficile à expliquer. D’une manière générale, les recettes internes de l’État pour l’exercice 2026 sont estimées à 1615, 412 milliards dont les recettes non fiscales (les dividendes et revenus de la prise de participation de l’État dans les entreprises, les loyers des Magasins de Dépôt MAD et autres revenus de l’Etat) estimées seulement à 109,611 milliards, soit 6 % des recettes internes. Or, chaque année les investissements en capital sont évalués à plus de 30% des dépenses budgétaires de l’État.
Que dire des allocations budgétaires pour le compte des différents ministères et de la gestion de la dette ?
D’une manière générale, la répartition des ressources de l’État sous forme d’allocations budgétaires pour les différents ministères et autres institutions de l’État pose un problème de fond. Un coup d’œil synoptique sur les différentes lignes budgétaires des différents ministères laisse présumer que certains ministères, de par la proximité des titulaires d´avec le Président du Conseil (PC), bénéficient de certains privilèges que d’autres.
En effet, depuis quelques années, la ligne budgétaire connue sous la dénomination de «Hôtel du ministre» a été renommée «pilotage et soutien des services du ministère « dont les montants sont attribués sous forme de rente au pifomètre, sans aucun critère bien défini.
Si en général, le montant de cette ligne budgétaire alloué à la majorité des ministères est inférieur à 1 milliard, tous les ministères occupés par des personnalités qui ont une particularité spécifique d’être très proches du PC bénéficient des avantages parfois au-dessus du soupçon.
C’est le cas du ministère des Finances et du Budget (6,380 milliards), le ministère de la Défense rattaché au PC (9,858 milliards), le ministère de la Justice (2,5 milliards) le ministère de l’Education (27,910 milliards), le ministère de la Santé (23,704 milliards), le ministère de l’Agriculture (6,539 milliards), le ministère de l’Efficacité et de la Transformation Numérique anciennement appelé ministère de l’Economie Numérique (7,411 milliards) et la Présidence du Conseil du PC lui-même 24 milliards.
Le cas des secteurs prioritaires
Le total des allocations budgétaires des ministres de la Santé, de l’Education et de l’Agriculture est prévu à 834,193 milliards, soit 33% des allocations budgétaires et 14 % de la valeur totale du budget. Ce qui est très loin des 35% préconisés par la Convention de Maputo qui demande à tous les pays africains signataires, pour les trois secteurs qualifiés de prioritaires.
La différence d’appréciation ici dénote de la part très importante de la dette publique qui accapare 880,894 milliards de remboursement en dehors de la charge financière (les intérêts) de la dette évaluée à 188,615 milliards contenue dans les dépenses ordinaires. Ce qui représente 40% du budget total alors que les dépenses en capital prévues pour 601,739 milliards ne représentent que 21 %. Ce qui est encore surprenant, c’est la ligne mobilisation des ressources financières (25,341 milliards). Ainsi, pour mobiliser les ressources de l’Etat, les structures du ministère des Finances (OTR et les autres) bénéficient de ces avantages pour confirmer l’adage selon lequel, «qui travaille à l’hôtel vit de l’hôtel». Sauf que l’on peut se demander comment ces fonds sont gérés si on se rappelle les dernières révélations sur les conflits d’intérêt à l’OTR.
Autres anomalies
Les allocations budgétaires du ministère de l’Economie Numérique devenu ministère de l’Efficacité des Services Publics et de la Transformation Numérique dont l’efficacité des prestations sont sérieusement discutables. On se rappelle encore l’opacité de la gestion des 24 milliards du projet e-government, les malversations des fonds Covid sans explication malgré le rapport de la Cour des Comptes, et aussi les conditions de la cession de la majorité des actions de la société Togocom aux étrangers. Pour 2026, ce ministère disposera d’un budget d’un montant de 46,424 milliards alors que le sous-secteur de l’Enseignement Technique, désormais, selon les nouvelles dispositions gouvernementales, relégué au second rang, ne bénéficie que de 14, 577 milliards comme prévision. Cette situation contraste avec les exigences des projets prioritaires P9 et P10 de la feuille de route gouvernementale 2020-2025 en considérant le secteur de l’Enseignement Technique comme le levier important pour la réduction du chômage et stimuler la croissance de l’économie nationale par la formation de la main-d’œuvre et la promotion de l’entreprise locale.
EVOLUTION DE LA DETTE PUBLIQUE ET DU PIB DU TOGO (2021-2025)
Année 2021 2022 2023 2024 2025(Juin)
PIB en milliards 4724,8 4614,8 5144,8 5538 6431
Dette en milliards 2912 3337 3707 4069 4631
On note également une sorte de chevauchement entre certaines lignes de différents ministères qui laisse apparaître les soupçons de double financement. C’est le cas de la ligne planification du développement (7,417 milliards) pour le compte du ministre de la Planification du Développement et la ligne Développement à la Base (10,077 milliards) du ministère du Développement à la Base.
De même, la ligne construction et reconstruction des routes (385,645 milliards) pour le compte du ministère des travaux publics et ligne transports routiers et ferroviaires (30,097 milliards) pour le compte du ministère des Transports Routiers, Ferroviaires, Aériens et Maritimes.
Un autre cas qui contraste avec la réalité, c’est la ligne diplomatie économique et rayonnement du Togo au plan sous régional et international (17, 255 milliards) pour le compte du ministère des Affaires Etrangères alors que la ligne sport est de (3,629 millions) quand on sait que le sport en général et le football en particulier est le meilleur facteur de rayonnement de l’image du pays à l’extérieur.
La question de la dette
Le poids du service de la dette publique dans le budget de l’Etat exercice 2026 est très énorme du fait que chaque année, le déficit permanent, après exécution des budgets précédents, ne fait que s’accumuler. De ce fait, il produit des intérêts qui à leur tour sont capitalisés.
Depuis 2021, la dette publique a augmenté d’environ 400 milliards en moyenne par an. La gravité de la situation résulte du fait que, le taux d’intérêt de la dette contractée sur le marché régional de 7% est supérieur au taux de croissance annuel du PIB réel qui est de 5%. Ce qui explique le fait que, malgré les efforts, la croissance de l’économie ne peut pas induire un progrès partagé et diffusé dans tous les secteurs de la vie économique et sociale tels que le pouvoir d’achat et le bien-être de la population en général.
De décembre 2024 à juin 2025, la dette a augmenté de 562 milliards et l’agence de notation Moody’s a dégradé la note du Togo, d’où la mission du Fond Monétaire International (FMI) fin août 2025 pour des réajustements à l’OTR pour ne citer que cela et pour un éventuel reprofilage de la dette.
En définitive, les caractéristiques de la mauvaise gouvernance du pays depuis plusieurs années se remarquent par le non-respect des principes et des règles qui régissent l’élaboration, l’adoption et l’exécution du budget. Aussi certains articles pertinents de la loi organique portant loi des finances sont-ils permanent violés. Pendant longtemps, le problème de la sincérité des comptes publics s’est posé. La question de fond est : à quoi a servi la dette publique faramineuse évaluée à ce jour à plus de 72% du PIB ? D’où la nécessité de revoir tout le système de gouvernance si l’on veut changer.
La Rédaction
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