En 1769, l’écrivain et philosophe français Denis Diderot publia un court essai intitulé « Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune ». Ce texte eut la grâce de se classer parmi ces écrits qui n’ont besoin que de quelques pages, quelques mots pour interroger et nourrir sur des siècles la conscience des hommes.
L’histoire ? Le philosophe reçut comme cadeau d’un ami fortuné une belle et riche robe de chambre écarlate qui très vite créa un déséquilibre esthétique dans son appartement modeste. Il se sentit obligé de remplacer son fauteuil, son tapis, ses livres, ses meubles, ses sandalettes… pour que tout soit en accord avec la belle et riche robe, initiant ainsi une chaîne d’achats et de torture morale (le « syndrome de Diderot », utilisé en sociologie, économie, gestion et ailleurs, est né de ce texte). L’essai, écrit sur un ton ironique, est une profonde réflexion sur le rapport des philosophes, écrivains, intellectuels (vivant très souvent dans la dèche)… à la richesse, l’opulence, et les compromissions qu’ils peuvent faire, en vieillissant, tournant ainsi le dos à leurs convictions.
Dr Franklin Nyamsi, philosophe dont la grandiloquence du verbe n’a d’égale que la versatilité de ses positions politiques (passant de soutien inconditionnel d’Alassane Ouattara au premier pourfendeur de ce dernier avec la même facilité qu’un footballeur changeant de chaussettes), le philosophe camerounais des lumières de Tiktok donc, a reçu, tel son ancêtre philosophe des Lumières, une belle robe écarlate en guise d’invitation à un sommet « panafricaniste » à Lomé. Il y est parti, attiré, raconte-t-on, par la lourdeur du cachet qui lui est proposé. Et le voilà donc, dans des capsules vidéo et interviews, parler de tout, parler partout, parler dans tout, sauf du panafricanisme.
Du vrai. Du sincère. Tout comme Diderot changea ses fauteuils, son lit, ses tableaux, sa bibliothèque, ses chaussures… juste pour que la beauté de sa nouvelle robe écarlate n’insultât point son modeste mobilier, le philosophe camerounais change, à Lomé, ses phrases, ses slogans, ses mantras… ses convictions, pour convenir à la volonté de ceux qui l’ont invité.
Dans son essai, Diderot s’est écrié : « Mes amis, craignez l’atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises; l’opulence a sa gêne. »
Le Dr Franklin Nyamsi est un grand érudit (c’est la seule raison pour laquelle je l’écoute souvent), je sais qu’il a lu ce court essai de Diderot, lui qui a lu des volumes de milliers de pages. Mais je ne saurais dire s’il en a fait la même interprétation que moi, et qu’il s’est déjà rendu compte qu’à son sommet « panafricaniste » de Lomé, il est en train de devenir Diderot dans sa robe rouge.
David Kpelly, écrivain togolais,













