La réforme constitutionnelle d’avril 2024, qui a permis à l’ex-président Faure Gnassingbé d’obtenir la présidence du conseil, sans limitation de mandat, avait provoqué une vague de contestation au printemps. Face à la dureté de la répression du gouvernement, les opposants ont cessé leur mobilisation.
La date avait été choisie pour perturber l’ouverture du 9e Congrès panafricain, organisé à Lomé. Lundi 8 décembre, les Togolais étaient appelés à descendre dans la rue pour protester contre le pouvoir de Faure Gnassingbé, à la tête du pays depuis vingt ans. Depuis plusieurs semaines, des relais du Mouvement du 6 juin (M66) – majoritairement composé d’influenceurs de la diaspora – exhortaient, sur TikTok, la population à relancer la contestation qui avait éclaté au printemps.
A Bè, quartier populaire du sud-est de la capitale, un important dispositif de sécurité était déployé. Mais les forces de l’ordre n’ont pas eu à intervenir. Personne n’est sorti manifester. La répression mise en œuvre par les autorités depuis six mois contre toute personne impliquée dans la contestation, qui avait fait sept morts, selon les organisations de la société civile – cinq selon le gouvernement, qui évoque des « noyades » –, semble avoir eu raison de la mobilisation des Togolais.
Et étouffé le mouvement de colère apparu après la réforme constitutionnelle d’avril 2024. Celle-ci a permis à Faure Gnassingbé de passer de la présidence de la République à la présidence du conseil, cette fois sans limitation de mandat.
Armand Agblézé, Osei Agbagno, Chimène Apevon, Amavi Katanga, Abel Yawo Atitso, Dora Dougbedji, Grâce Koumayi Bikonibiyate… La liste de jeunes qui « disparaissent », embarqués par des hommes en civil ou en uniforme, chez eux ou sur leur lieu de travail, ne cesse de s’allonger. Depuis juin, 133 personnes ont été interpellées, dont 48 sont toujours détenues, selon l’Organisation mondiale contre la torture. Si le procureur de Lomé, Talaka Mawama, avait annoncé, début juillet, la libération de 84 d’entre eux, plusieurs ont de nouveau été arrêtés quelques semaines plus tard. En toute discrétion.
Conditions de détention inhumaines
Dans les conversations WhatsApp infiltrées par les services de police, un message jugé trop direct peut su”re à mener en cellule. C’est ce qui est arrivé à Dora Dougbedji, arrêtée le 30 juin et emprisonnée avec son nourrisson – rendu depuis à sa famille. Amegadje Kossi, père de famille, a, lui, été interpellé pour avoir conservé des mégaphones et des tracts confiés par un manifestant.
Le cas de Grâce Koumayi Bikonibiyate, sage-femme et activiste arrêtée une première fois le 6 juin, lors des manifestations, a particulièrement choqué l’opinion. Libérée, la jeune femme tentait de porter plainte pour torture lorsqu’elle a de nouveau été arrêtée, le 3 octobre. Elle reste incarcérée et assure avoir été victime de viol en détention – des allégations que la gendarmerie a jugées infondées, minovembre.
« Tout est fait pour que, au niveau de la société civile, on ne puisse plus s’exprimer ni faire des actions de terrain ni mobiliser la population », dénonce David Dosseh, coordinateur de l’organisation Tournons la page Togo, dont deux jeunes membres ont été arrêtés, fin août. « Les violations des droits de l’homme sont devenues systématiques sur toutes les personnes qui sont interpellées », ajoute Monzolouwè Atcholi Kao, le président de l’Association des victimes de la torture au Togo (Asvitto), décrivant un climat de « terreur ».
Dans une lettre écrite depuis sa cellule début décembre, Abel Yawo Atitso, secrétaire général d’une association étudiante, arrêté début septembre pour avoir dénoncé l’état des routes, la cherté de la vie et demandé des réformes éducatives, une alternance démocratique et la démission de Faure Gnassingbé, rapporte des « conditions de détention dramatiques ».
A la prison civile de Lomé, des cellules de 4 mètres sur 6 contiennent jusqu’à 126 personnes. L’établissement, prévu pour 600 détenus, en compterait 2 800. Les conditions d’incarcération sont décrites comme inhumaines depuis plusieurs années par le Collectif des associations contre l’impunité au Togo et le Comité contre la torture des Nations unies, lequel avait demandé, en 2019, au Togo de fermer la prison.
Selon l’Asvitto, 37 détenus politiques y sont en grève de la faim depuis le 8 novembre pour obtenir leur libération. Quant à Marguerite Gnakadè, ancienne ministre des armées (2020-2022) qui demandait la démission de Faure Gnassingbé avant d’être arrêtée le 17 septembre, elle reste en résidence surveillée.
« Traumatiser les populations »
En parallèle, les autorités ont renforcé le contrôle de l’espace numérique. Entre fin juin et octobre, Facebook, TikTok et YouTube ont été ralentis ou restreints. En octobre, le procureur de Lomé annonçait des « sanctions sans compromis » pour toute publication jugée diffamatoire ou « susceptible de provoquer la haine », évoquant même une « complicité par approbation » pouvant criminaliser un simple « j’aime » sur les réseaux sociaux.
La presse locale n’est pas épargnée. Le 24 novembre, trois organisations de journalistes ont signalé des intrusions suspectes dans leurs bureaux et des vols de matériel. Quant aux médias internationaux France 24 et RFI, suspendus, mi-juin, pour une durée initiale de trois mois, pour « manque d’impartialité », ils restent interdits dans le pays.
Même le rappeur Aamron, figure de la contestation de juin, dont l’arrestation avait provoqué la première vague de manifestations, fait désormais profil bas. L’artiste plaide pour la réconciliation nationale et a”rme avoir pardonné ceux qui l’ont torturé et fait interner.
« Quand on arrête les gens et qu’on les torture, c’est pour traumatiser les populations. Donc on n’est pas surpris qu’il y ait quelques hésitations », observe Nathaniel Olympio, premier porte-parole du collectif Touche pas à ma Constitution. Mais « ce n’est qu’une question de temps. Un jour, ici aussi, on parlera de la “gen Z” qui s’exprime », au même titre que celles du Népal ou de Madagascar, espère l’opposant.
Interrogé sur les manifestations de juin, le ministre des relations avec le Parlement, Gilbert Bawara, avait dénoncé une « opération de manipulation à grande échelle » et défendu la responsabilité des pouvoirs publics de faire respecter la loi pour empêcher le « chaos ». Contactée par Le Monde pour réagir aux accusations de répression, sa collègue, Yawa Kouigan, porte-parole du gouvernement, a dit ne pas avoir d’information mais appelé les potentielles victimes à « porter plainte en bonne et due forme ».
Les autorités togolaises ont profité de la cérémonie d’ouverture en grande pompe du 9e Congrès panafricain pour rassurer : « Le Togo va bien. Le Togo va très bien », a déclaré le ministre des affaires étrangères, Robert Dussey. Quelques jours plus tôt, dans son discours de politique générale, Faure Gnassingbé avait quant à lui évoqué des « mesures de grâce » pour les détenus. Uniquement pour les délits mineurs, avait-il précisé.
Source: Le Monde Afrique/Flore Monteau













